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sabre, le général le plus habile, s’il manque de canons, de munitions et de voies ferrées. Le machinisme moderne accroît chaque jour, au lieu de le diminuer, le poids des fatalités qui pesèrent sur l’homme primitif, et dont un Lucrèce pouvait croire la civilisation bientôt affranchie. La science qui devait nous libérer n’a fait que nous remettre sous le joug. Elle a beau multiplier nos forces, transformer les élémens que la terre lui jette en pâture, entrer même timidement dans la voie des transmutations rêvées par les alchimistes. Notre ambition croit encore plus vite que notre ingéniosité. L’esprit, qui se joue à travers les transformations, ne parvient encore, ne parviendra sans doute jamais à créer ni force, ni matière ; et la part de la valeur humaine ne grandit pas aussi vite que les poètes l’avaient rêvé, dans un monde de plus en plus soumis aux concurrences vitales, aux avidités et aux faims.


La première application que nous allons faire de ces idées portera sur la Grande-Bretagne. L’exemple est instructif, parce que c’est assurément le pays où le rôle de la houille et du machinisme amené par la houille est le plus ancien, en sorte que son évolution y est particulièrement avancée et que l’essor industriel a semblé même, depuis quelques années, dépasser son point culminant. Un autre enseignement très frappant nous viendra ici de ce que la géologie a nettement divisé l’Angleterre en un pays charbonnier et un pays sans charbon : d’où une coupure correspondante non moins nette pour la politique et pour l’industrie, qui montre la relation de cause à effet comme dans une expérience systématique.

La richesse moderne de la Grande-Bretagne est avant tout fondée, chacun le sait, sur deux privilèges naturels : sa position insulaire et sa richesse on houille. Le jour où Fulton combina ces deux forces en utilisant le charbon anglais à la propulsion d’un navire anglais, a marqué l’essor définitif de cette merveilleuse fortune[1]. De ce jour, la Grande-Bretagne a eu tendance à devenir, ce qu’elle était récemment encore, le transporteur

  1. C’est à Birmingham que Walt a asservi la vapeur, que Murdock a. inventé le gaz et la locomotive. C’est à Glasgow que fonctionna le premier bateau à vapeur, à Liverpool qu’un de ces bateaux se hasarda pour la première fois à traverser la mer.