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peu à l’idée de les garder ensuite comme ouvriers. Sans doute, dans ces organisations de fortune, l’infirme ne trouvera pas toujours réunies les conditions de patience, de bienveillance chez le maître, de compétence à la fois médicale et professionnelle que son état rend désirables ; mais le temps gagné est un avantage si considérable qu’il faudra souvent passer outre.

Surtout, chacun peut dans sa sphère aider le mutilé à vouloir travailler. Combien de fois avons-nous tous eu le cœur serré depuis treize mois à la vue d’un réformé qui quittait l’hôpital, qui se jetait dans une vie toute nouvelle, ignorant de ce qu’il ferait demain, de l’accueil que lui réserverait le monde, insouciant bien souvent au bord d’un mystère plein de menaces ! Leur crânerie à eux est encore de l’abnégation ; mais nous les suivons, nous, par la pensée, anxieusement penchés sur leur avenir, que nous cherchons à épeler dans les ténèbres. Ils partent trop souvent sans que toute notre sollicitude leur apporte autre chose qu’un réconfort matériel ou moral bien passager. Et pourtant, nous pourrions beaucoup pour eux en orientant vigoureusement leurs pensées vers des résolutions d’action. En particulier, les infirmières dans les ambulances et les hôpitaux pourraient avoir une influence très efficace en rendant aux mutilés confiance dans les facultés qui leur restent et qu’ils sous-estiment le plus souvent, en les instruisant des diverses branches d’activité qui s’ouvrent encore à eux, en s’informant du milieu individuel qui est le leur, afin de les aider à en tirer le meilleur parti possible en vue de leur réadaptation. La guerre semble mettre les âmes comme en état de pression et, pour un temps, épanouir chez beaucoup de nos blessés les meilleures tendances qui souvent sommeillaient pendant la paix. Ce moment où l’homme sent en soi quelque chose qui le dépasse, où l’estime et la sympathie qu’il lit dans les yeux qui l’entourent le rehaussent à sa propre vue, c’est celui qui est le plus favorable à la préparation dont je parle. Et ces touchantes correspondances qui s’établissent souvent entre le blessé et sa bienfaitrice de l’ambulance pourraient être fort avantageusement utilisées à entretenir et à faire fructifier le germe que des conversations auraient déposé dans les volontés. Elles se feraient même plus fréquentes et plus persévérantes si elles s’étoffaient ainsi d’une mission précise, bien que discrète.