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une tare dans la vie française, débandait une plaie, la montrait à nu : et l’Union sacrée, c’est l’image de la santé française. Guérison subite, résurrection, miracle de la guerre : la France était malade ; et elle va bien ! La guerre l’a sauvée. Quel remède ! Pire que le mal ? Un remède qui guérit ne mérite pas cette injure. Mais l’effroyable remède, personne n’aurait eu l’audace de le choisir et de l’appliquer, et non pas même Déroulède qui disait, dans sa mélancolie : « On ne voit jamais ce qu’on désire trop ; quand je serai mort, il y aura la guerre ! » M. Barrès ajoute : « Je n’ai jamais souhaité (ce que pouvait faire un soldat comme Déroulède) les terribles leçons de la bataille ; mais j’ai appelé de tous mes vœux l’union des Français autour des grandes idées de notre race. » Donc, il fallait la guerre. Il ne fallait pas la vouloir : et nous ne l’avons pas voulue. Les destins nous la devaient : nous avons accepté le cadeau fatal, formidablement lourd à porter.

Cette vivacité, cette alacrité de l’émoi, qui donnent à la chronique de M. de Mun tant de charme prime-sautier, l’attrait le plus saisissant, d’autres caractères les remplacent dans la chronique de M. Barrès. Un orateur est exubérant ; le poète qui lui succède, plus retiré, ne se livre point avec cette facilité. Il n’est pas moins sensible et animé d’une ardeur moins chaude. Le même feu, qui répand là ses larges flammes et les agite, couve ici, fait plus secrètement son ravage et a de brusques éclats magnifiques : dans ses momens les plus cachés, il gronde sourdement et l’on n’ignore pas sa présence. Toute l’œuvre de M. Barrès, à la bien considérer, reçoit des événemens actuels sa consécration. L’idéologie aventureuse de ses premiers ouvrages et de sa jeunesse, s’il l’a volontairement restreinte, ramenée vers lui, — vers lui et vers ses morts, — confinée dans un espace plus étroit, mais approfondie, pour ainsi parler, dans le temps, ne lui a-t-il pas imposé la même loi rigoureuse à laquelle, d’un seul coup, la guerre a soumis toute la pensée française. Il assiste à ce prodigieux phénomène : la France, hier éparpillée, qui rentre chez elle, qui retourne à la conscience de soi, connaît son énergie ancienne, et aux séduisantes erreurs de la curiosité préfère la discipline de ses incontestables certitudes ; la France qui a fait, d’un bond, sous la blessure imprévue, le chemin, le, même chemin qu’il a lui-même lentement parcouru sous l’incitation de la tristesse et de la raisonnable rêverie. C’est le chemin salutaire, l’unique chemin de la sagesse ; et la patrie, devenue sage, est sur le chemin du salut. Les stances de la consolation personnelle s’agrandissent ; elles sont un hymne pour accompagner la patrie dans la tribulation qui la conduit à : ses fins augustes. Cette