problèmes ; et les paroles de l’Empereur répandent de la lumière. L’Empereur disait à Gourgaud : « Pour être bon général, il faut savoir les mathématiques, cela sert en mille circonstances à rectifier les idées ; mais un général ne doit jamais se faire des tableaux : c’est le pire de tout. » Eh bien ! remarque Polybe, l’empereur allemand, généralissime des forces allemandes et autrichiennes, n’a-t-il point cette manie de se faire des tableaux ? Il s’est vu entrer dans Paris, en triomphe ; il s’est vu franchir le Pas de Calais comme Xerxès a franchi l’Hellespont ; et il s’est vu entrer dans Moscou : à ces divers tableaux que lui fabriquait son orgueil, il a sacrifié des armées.
Polybe écrit chaque jour et sous le coup des événemens : il en saisit la nouveauté. Mais la sagesse de Polybe consiste à dominer la surprise et à ne point permettre qu’un petit fait, qui paraît grand parce qu’il vient de se placer tout juste devant nos yeux, offusque la vue de l’ensemble. Fabrice del Dongo, dans la Chartreuse de Parme, est à Waterloo : il n’apprit que plus tard qu’il avait assisté à une grande bataille. Fabrice qui n’a vu qu’un petit coin de la mêlée, voilà le héros que Polybe nous engage à ne pas imiter. Polybe nous déroule l’immense carte et nous défend de regarder tout uniment quelques taillis dans la forêt d’Argonne. Il y a, oui, la Harazée, Saint-Hubert et les Courtes-Chausses ; mais il y a toute la ligne de Nieuport à Belfort, toute la ligne de Czernowitz à Riga, et le Caucase, et la presqu’île de Gallipoli, et le Trentin, le Triestin, l’Afrique et les autres parties du monde où les colonies allemandes passent aux mains des alliés. Qu’est-ce à dire ? Un succès par ici compense un échec ailleurs : sans doute ; mais on ne veut d’échec nulle pari. Enfantillage ! Polybe ne nous invite pas seulement à un vain calcul de compensations : il nous somme d’être attentifs à ce qu’il appelle « le rythme de la guerre. » Qu’est-ce que le rythme de cette guerre ? Exemple : telle de nos offensives, celle de Champagne, a donné des résultats ; elle n’a pas donné tous les résultats que put escompter l’impatience des badauds. Or, le bilan de cette offensive, on ne l’établit pas en évaluant le nombre des kilomètres carrés que nos troupes ont repris : cette offensive a retenu obstinément sur le front occidental des [armées allemandes que les Russes avaient besoin de ne pas recevoir à ce moment. De même, à un autre moment, une offensive russe ou leur défensive acharnée occupe l’ennemi et nous laisse le loisir d’une préparation très urgente. Les Russes ne travaillent pas de leur côté, nous du nôtre et les Italiens du leur : l’effort de tous est concerté. L’effort de nos soldats en Artois ou dans les Vosges a une répercussion très