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des mérites de M. Turpin est d’avoir attiré l’attention là-dessus.

Je m’excuse auprès de mes lecteurs de ces développemens un peu techniques. Mais il me semble qu’on doit mieux goûter l’élégance d’une construction nouvelle, — celle-ci fût-elle une découverte chimique, — lorsqu’on a aperçu d’abord l’agencement délicat des échafaudages par quoi elle fut édifiée.

Les chimistes pour pallier le défaut, soi-disant préjudiciable, d’oxygène de l’acide picrique recommandaient de le mélanger avec des oxydans (chlorate ou nitrate de potasse, oxydes divers), ou d’en former des sels, ou picrates, par combinaison avec les alcalis. Malheureusement, ces mélanges étaient extrêmement dangereux, très instables, très sensibles au choc.

Quant à l’acide picrique on n’avait jamais songé à l’employer comme explosif d’abord, nous l’avons vu, pour la raison théorique de son défaut d’oxygène, ensuite parce qu’il était extrêmement peu sensible aux actions physiques et absolument indifférent au choc. On peut, par exemple, écraser sans aucun danger une caisse d’acide picrique sous un marteau pilon.

Cette insensibilité avait fait considérer l’acide picrique comme un corps non explosif. C’est elle précisément qui attira sur cette substance l’attention de M. Turpin, et le grand mérite, la grande découverte de cet inventeur est d’avoir trouvé le moyen d’amorcer convenablement et à coup sûr l’explosion de ce corps.

M. Turpin reconnut d’abord que l’acide picrique pouvait être fondu sans danger et en grande masse, puisque sous cette forme il devenait tellement insensible au choc qu’une capsule de fulminate de mercure de 3 grammes en brisait les blocs sans les jamais faire détoner. Il constata au contraire que l’on pouvait faire détoner au moyen d’une capsule de fuminate de l’acide picrique en poudre et que celui-ci amorçait alors l’explosion de l’acide fondu. Il fut amené à construire ainsi le détonateur à acide picrique pulvérulent qui est aujourd’hui l’organe essentiel de l’explosion des obus à mélinite, — car la mélinite est essentiellement formée d’acide picrique. Son nom lui vient de sa couleur jaune et de son apparence lorsqu’il est fondu et qui rappelle celle du miel.

Avec la mélinite nous nous trouvions munis d’un explosif brisant d’une telle valeur que la puissance de nos projectiles s’en est trouvée du coup décuplée. Ce progrès immense provenait d’une part de la stabilité énorme du nouvel explosif et de son insensibilité au choc nécessitant un amorçage spécial de toute sécurité ; cette insensibilité