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résistance. La bonne volonté de la Bulgarie ne suffit pas : pour arriver en Turquie avec abondance, il faut que les objets qui y sont importés traversent la Roumanie. L’obstruction faite par celle-ci parait avoir décidé l’Allemagne à chercher un autre point où faire une trouée. Où le trouver ? En Serbie. Depuis longtemps déjà ce projet hantait les têtes allemandes, mais comme un projet d’avenir, et il ne s’y était pas encore précisé. Il y mûrissait toutefois et si l’Allemagne n’en a pas encore commencé la réalisation, elle la prépare comme une éventualité sérieuse à laquelle elle donne ses soins. Ses journaux en parlent avec enthousiasme. Il y a quelques jours, des canons, non plus seulement autrichiens, mais allemands, ont tonné sur le Danube : ils bombardaient Semendria, sans faire grand mal, il est vrai, mais ce n’est pas ce qu’ils se proposaient : ils annonçaient simplement l’ouverture prochaine d’une nouvelle campagne et toutes les imaginations allemandes en ont retenti. On parle couramment d’établir une chaussée militaire qui, partie de Berlin, irait jusqu’à Constantinople. Alors l’Europe, traversée en diagonale, subirait sans révolte possible l’hégémonie teutonne, et de Constantinople il n’y aurait qu’un saut à faire pour mettre le pied en Asie. On y trouverait de grands travaux déjà poursuivis sur un vaste parcours, qui permettraient d’atteindre le golfe Persique, à moins qu’on ne préférât se détourner du côté de l’Egypte, y recommencer une seconde expédition qui réparerait l’échec de la première et jetterait la puissance anglaise haletante au pied des Pyramides ou du Sphinx. Les imaginations allemandes, éblouies par des succès dont elles ne distinguent pas le caractère provisoire, ne connaissent plus aucun obstacle.

Mais il faut traverser la Serbie, ce qui n’est peut-être pas aussi aisé qu’on paraît le croire dans la fumée des brasseries berlinoises. Si l’armée serbe a été éprouvée sur tant de champs de bataille, elle s’y est en même temps durcie et aguerrie et, quelque réduite qu’elle soit, elle est encore aujourd’hui une des meilleures de l’Europe. Elle a fait ses preuves contre l’armée autrichienne ; elle ne reculera devant rien. Traverser la Serbie n’est donc pas une entreprise où l’on puisse se jeter à la légère. Il est vrai qu’il y a au Nord-Est, entre le Banat de Temesvar et la Bulgarie, un étroit territoire serbe qui n’a que 70 ou 80 kilomètres, moins peut-être, et dont la brièveté peut tenter les armées allemandes. Malheureusement le pays est montagneux, d’un abord difficile : la défensive y a de grands avantages. Mais, arrivé au bout, on serait en Bulgarie, c’est-à-dire en pays ami ; on y respirerait largement et on irait à Constantinople sans