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Phéniciens restent pour lui au second plan ; il n’y a qu’une race vraiment prépondérante, la race aryenne ou indo-germanique, celle à laquelle est confiée par les destinées « la fortune morale de l’humanité. » C’est là, comme on sait, une idée très répandue de l’autre côté du Rhin, chez les contemporains et les successeurs de Mommsen. Un bon historien ou sociologue, en Allemagne, tient pour dogme incontesté qu’il n’y a de vrais hommes que les Aryens, — et de vrais Aryens que les Allemands.

Sur ce dernier point, Mommsen n’est pas aussi explicite. Son Histoire romaine n’allant pas jusqu’à la fin de la République, il n’a pas eu beaucoup d’occasions de parler de ses lointains ancêtres ; mais le peu qu’il en a dit suffit pour laisser entrevoir en quelle estime il les tient. Il vante « les formes poétiques, les naïves et suaves images qui sont la parure de leurs anciennes coutumes, et qui sont demeurées inconnues au droit romain archaïque. » Il ne dissimule pas leurs dissensions intestines, qui les ont souvent affaiblis dans leur lutte contre Rome : mais ces dissensions viennent de ce qu’ils sont encore à un degré imparfait de civilisation, au lieu que celles des Gaulois tiennent à un vice radical de caractère. Les peuples de la rive gauche du Rhin, les Nerviens et les Trévires, lui semblent trop énergiques pour pouvoir être de simples Gaulois : s’il ne déclare pas formellement, il insinue qu’ils doivent descendre de tribus germaniques. Des historiens plus hardis iront plus loin, et installeront rétrospectivement les Germains, dès l’époque de César, dans le pays entre Rhin et Argonne. Mommsen n’a pas encore la monomanie de l’annexion historique. Il ne revendique pas pour la Germanie les grands hommes de tous les pays. Pourtant, en traçant le portrait de Sylla, il s’arrête avec complaisance (par hasard, sans doute) sur les détails physiques qui apparenteraient aux Germains le farouche dictateur. « L’œil bleu, les cheveux blonds, le visage d’une singulière blancheur, mais rougissant au moindre mouvement de l’âme… » Sylla a plus l’air d’un Germain que d’un Italien ; c’est la « superbe bête de proie blonde. » Nous ne savons si quelque élève de Mommsen, frappé de ces « signes de race, » a réclamé Sylla pour son compatriote. Nous y consentirions volontiers : avec son ironie macabre et sa cruauté méthodique, Sylla mérite bien d’être Allemand. Quoi qu’il en soit, pour ce qui est des Germains authentiques, Mommsen les appelle (et ceci en dit