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Mommsen ne fait même pas grâce au plus noble des Gaulois d’alors, à Vercingétorix. Il lui impute à crime ses plus belles vertus. Dans un parallèle, d’ailleurs savoureux, entre Hannibal et lui, il regrette que le chef gaulois ait gâté ses dons supérieurs par un désintéressement intempestif. « Trop de chevalerie messied à l’homme, à l’homme d’État surtout (saluons au passage cette profession de foi d’un germanisme ingénu : M. de Bethmann-Hollweg ne dirait pas mieux). Il y eut de la chevalerie chez le roi arverne, et non de l’héroïsme, à dédaigner de s’enfuir d’Alésia quand toute la nation comptait sur lui. Ce fut le chevalier, non le héros, qui se donna en victime, alors que le dévouement restait stérile… N’est-ce pas là le trait distinctif de la nation celte ? Son plus grand homme ne fut qu’un preux ! » Quelle tare ! Et comme on conçoit que l’Allemagne moderne s’applique à mériter le moins qu’elle peut un tel reproche !

Ce portrait satirique des anciens Gaulois, où il est impossible de ne pas voir des allusions à leurs arrière-petits-fils[1], est-il ressemblant ? Plus d’un, chez nous, le croit, et s’en console. « Quoique ce jugement n’ait pas été fait sans malice, écrit bien finement Gaston Boissier, il faut l’accepter sans rancune. S’il est triste de songer que nos défauts sont si anciens et que le temps a été si impuissant à nous en corriger, on éprouve aussi une certaine joie à savoir qu’il y avait des Français longtemps avant qu’il y eût une France. » C’est peut-être trop de résignation. En fait, on peut penser que Mommsen se trompe sur plus d’un point. Il se trompe sur Vercingétorix, qui, par sa tactique savante, par ses efforts pour concentrer et discipliner tous ses concitoyens, par sa résolution froide et réfléchie de « faire le désert » devant l’ennemi, par son habile retraite sur Gergovie et sa tenace résistance dans Alésia, paraît bien avoir été tout le

  1. Rappelons que toutes ces pages ont été écrites avant 1870. M. Jullian dit que l’hostilité de Mommsen contre la France fut « beaucoup plus superficielle qu’on ne le croit. » Soit, s’il ne s’agissait que de pamphlets composés pendant la guerre, à un moment où la passion surexcitée peut entraîner à des intempérances de langage. Mais un jugement porté dans un grand ouvrage d’histoire, à tête reposée, et au milieu de la paix, mérite d’être pris plus au sérieux. En réalité, il semble bien que Mommsen ait toujours eu, sinon la haine, au moins le mépris de la France, quoiqu’il ne l’ait pas toujours exprimé aussi crûment.