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il les aime d’être en toute circonstance les champions inflexibles de la force, sans trop s’inquiéter du droit.

Et là où la force toute seule ne réussirait pas, elle peut, elle doit appeler la ruse à la rescousse. « La nécessité n’a pas de loi, » « on s’en tire comme on peut, » ce n’est pas Mommsen qui a prononcé ces célèbres formules, mais on en retrouve l’esprit dans plus d’une de ses réflexions. Il faut l’entendre apprécier la trahison par laquelle les Mamertins se sont rendus maîtres de Messine : « Il siérait mal à l’historien d’atténuer en quoi que ce soit l’odieux de leur attentat ; toutefois, qu’on ne l’oublie pas, le Dieu de l’histoire n’est pas le Dieu qui venge les crimes des pères sur les enfans jusqu’à la quatrième génération. Condamnez ces hommes, si vous êtes appelés à juger la faute du prochain ! Pour moi, je ne puis pas ne pas reconnaître qu’il y avait là le germe du salut de la Sicile. » C’est au nom de cette théorie utilitaire si commode qu’il excuse, tantôt un stratagème des Romains contre les Grecs, que les Romains eux-mêmes ont nommé une « ruse indigne, » tantôt la duplicité du sénat dans les négociations qui ont terminé la dernière guerre punique et préparé la chute de Carthage. Lorsque les Tarentins, en pleine paix, et à la faveur d’un grief imaginaire, se jettent sur la flotte romaine, il déclare, il est vrai, que « cette lâche agression ne s’explique que par la suprême sottise et la suprême mauvaise foi d’un gouvernement de démagogues, » — comme si les démocraties avaient le privilège des attaques brusquées ! Mais attendons les raisons qu’il donne à l’appui de sa sévérité. « Si les hommes d’Etat de Tarente ont armé contre Rome, ils n’ont fait que ce qu’ils auraient dû faire depuis longtemps. Si même, au lieu de se placer sur le terrain solide des nécessités politiques, ils ont préféré invoquer une question de forme, l’histoire ne leur en fera pas un grave reproche : la diplomatie a toujours regardé comme au-dessous de sa dignité de dire simplement la simple vérité. Mais il fallait être fou et barbare pour attaquer par surprise une flotte qu’on pouvait aussi bien sommer de rebrousser chemin. » D’où il semble bien résulter que ce qui l’émeut dans la conduite des Tarentins, c’en est plutôt l’inopportune maladresse que la foncière injustice.

Pour l’injustice commise à propos et avec succès, il a coutume d’être très condescendant : les exemples en sont innombrables ; nous n’en citerons que deux, caractéristiques entre tous. — Dans