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de pierre, les cornouilles et les fleurs fanées que nous avions apportées de la chapelle. Quand la décoration fut achevée, on se recula pour juger de l’effet. Et, soudain, Louis Génin, mû par ses voix intérieures, commença à entonner de vagues oremus. L’émulation m’entraîna. Dans le silence lourd de la sieste, nous nous grisions de nos psalmodies discordantes. Bientôt, tout le pieux répertoire y passa, tout ce que nous avions entendu chanter au lutrin, les gloria patri, les sicut eral in principio, estropiés par nos mémoires enfantines. Cependant, quelqu’un bougonnait derrière les volets clos : une voix irritée nous enjoignit de nous taire. Mais, emportés par l’inspiration, nous continuâmes à brailler de plus belle. La clenche d’une porte sonna furieusement, et, des profondeurs du corridor, nous vîmes surgir la mère Collin-des-Pigeons, qui brandissait un balai, en criant :

— Auront-ils bientôt fini de me faire endéver comme ça !…

Telles des volailles apeurées, nous nous dispersâmes au plus vite, oubliant sur l’autel nos cornouilles et nos fleurs. Nous dévalions éperdument les pentes pierreuses de la Rue-haut. Quand nous fûmes hors de portée du balai et que la terrible vieille fut rentrée dans son corridor, nous nous arrêtâmes tout palpitans, comme pour tenir conseil. Aussitôt, Louis Génin, sur le ton des résolutions désespérées, me déclara, sans même me regarder :

— Je m’en vas au Faubourg !

Pour moi, j’avais horreur du Faubourg, comme du quartier le plus crotté du village, d’ailleurs plein de surprises et de dangers. Mais, lui, il avait dans le Faubourg des cousines et des tantes donneuses de tartines et même, les jours où l’on cuisait le pain, de galettes au lard. C’est à cause de cela, sans doute, qu’il me quittait, au lieu de rester avec moi, pour maudire la cruauté de la mère Collin-des-Pigeons et nous consoler ensemble de nos désastres. Rien ne put l’attendrir. Il me répéta, d’un air inflexible :

— Je m’en vas au Faubourg !

La mort dans l’âme, je le regardai partir vers cette région redoutable, et, songeant à l’autel et à nos bouquets abandonnés, à nos chants interrompus, à notre amitié si fragile, je sentis toute mon exaltation tomber, et je restai là, le cœur bien gros, comme devant l’effondrement d’un rêve.