Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/883

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la Prusse ses premières armes contre elle-même. Ainsi la ville de Berlin, en ces temps, ne représentait en aucune manière un type national et germanique ; elle ne possédait pas davantage, contrairement à ce qui a été dit partout, le droit de revendiquer quoi que ce fût au nom de l’Allemagne ; ses salons ne reflétaient que des lumières reçues de l’étranger, ses rues n’étalaient que des formes qu’il lui avait empruntées et des biens prêtés.

Le principe pédagogique de la Prusse était dans le programme développé par Frédéric Jahn. Ce fils des marécages de la Mark, simple instituteur d’une école de garçons à Berlin, papa Jahn, comme on l’appelait familièrement, est vénéré comme une des grandes gloires de la Prusse. A le voir de près, sans parti pris aucun, sa physionomie ne manque point d’intérêt, car il devint l’ami et l’éducateur de Théodore. Ce n’était pas le professeur de gymnastique, mais une espèce de prophète demi-inculte et demi-dogmatique, qui affichait un mépris théâtral pour tout ce que raffinement des mœurs latines et la culture supérieure des esprits avait alors amené de douceur et d’aménité dans la rudesse des pays du Nord. Il était proprement l’ancêtre de la barbarie scientifique… Dans les cinq dernières années avant la guerre de 1914, ce ne fut pas sans une secrète inquiétude que je constatai durant mes voyages en Allemagne la réapparition dans les modes de ce col de chemise s’ouvrant sur les poitrines nues, cette tenue de papa Jahn, qui, portée par la jeunesse du peuple et de la petite bourgeoisie, avait déjà pour moi une signification supérieure à un simple caprice de mode. Pour le réveil du peuple, disait papa Jahn, « ce peuple en bonnet de nuit qui ronflait sous ses édredons » et rêvait encore amour régional et tendresse amollissante de clocher, il n’existait rien de meilleur que l’effort musculaire sévèrement réglé. » C’est toute la Prusse dans sa caricature Spartiate. Des milliers de jeunes gens se précipitaient sur le Pré-aux-Lièvres, aux environs de Berlin, derrière les basques de la redingote flottante.

Théodore Körner, conquis par ce courant, allait devenir un lieutenant de ce capitaine de gymnastique lorsqu’une maladie le ramena au bercail de Dresde où l’attendait toujours, avec sa sollicitude sans borne, la famille aux douces mœurs d’autrefois, heureuse de le dérober à des influences néfastes. L’enfant prodigue qui avait goûté aux fièvres de Berlin trouva sa ville