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briller dans les ténèbres, au fond de*s jardinets des paysans et sur les rebords de leurs fenêtres. Derrière eux les lanternes s’allumaient. En hâte on venait voir le beau jeune homme qui entraînait les soldats avec ses chants populaires.

Un Français réfugié, devenu prussien, un huguenot, nommé Olivier, qui se trouvait parmi eux, traça sur son cahier les traits du mort.

Le lendemain de ce jour, le 27 août, les obsèques eurent lieu dans le bruit sourd des tambours. Le long serpent noir qui était parti de la petite église de Silésie sous la pluie glacée de mars, se retrouva sous le soleil, plus sinistre encore dans la lente marche funèbre. En route, un général prussien, de passage avec son état-major, rencontra la troupe et s’informa du nom du mort. Il descendit alors de cheval et suivit le convoi à la tête des chasseurs noirs jusqu’à une place en plein champ ou deux chênes bicentenaires se tenaient à vingt pas l’un de l’autre, comme il était d’usage autrefois, afin que les moissonneurs profitassent de leurs ombres. Des branches fortes comme des arbres pendaient très bas. C’est sous cette puissante ramure qu’on avait creusé la tombe. Des salves d’honneur, des coups de canon ne furent point tirés à cause de la proximité de l’ennemi. Mais, pendant la descente du cercueil, tout le corps des Bandes de la Vengeance entonna tout à coup le lied de combat : « C’est la chasse de Lutzow sauvage et téméraire… » dernier cri barbare qui passait sur le front de ce filleul de la Prusse.

Le pays dont il avait si bien servi les rancunes déplora la disparition de son héros avec l’intensité dont son tempérament d’acier était capable, c’est-à-dire avec son froid lyrisme. Il ne s’affaiblit pas en sanglots, mais il raisonne, il pèse le pour et le contre des conséquences, le mérite, l’opportunité du sacrifice, et c’est toujours le cerveau mathématique et glacé que nous retrouvons, même à ces heures de deuil national, dans ce pays des Hussards de la Mort.

Ainsi se comporta le savant W. de Humboldt, qui semble avoir été un des plus actifs déformateurs de ce cerveau mal équilibré. Pendant son séjour à Vienne, il surveille de loin l’évolution du poète et intervient toujours au moment décisif pour l’arracher de l’idéal paisible et musical et le rejeter vers celui de l’extermination.

Dans une première lettre, il parle de l’événement à sa femme,