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le Chemin de la Victoire quelque chose de hâtif, d’entassé, de mal dégrossi. La faute est moins imputable à l’auteur qu’à son temps. De nos jours, dès qu’un auteur voit luire le succès sur son nom, il lui faut produire, produire encore, produire à tout prix, fournir ce que j’appellerai « le livre par an. » Rien n’est plus nuisible à l’art, qui demande, qui exige du soin, de la réflexion et de la lenteur dans le travail. À ce point de vue, la vogue si méritée de Gens de guerre au Maroc exerça sur le talent de Nolly une mauvaise influence. Peut-être aussi, averti par le pressentiment mystérieux que j’ai connu chez tant de soldats approchant de leur terme, sentait-il que les jours lui étaient déjà comptés. Il voulut semer au plus vite les idées qui le tourmentaient et ne trouva plus le loisir de modeler, autant qu’il eût désiré, leur forme.


Avant qu’elle n’ait été éditée en volume, nous ne parlerons pas ici de la dernière œuvre de Nolly, le Conquérant. Pour moi, je l’avais du reste annoncé en commençant, je n’ai pas agi en critique autant qu’il eût fallu. Je connaissais, j’aimais le capitaine Détanger. J’admirais profondément Nolly. Sa mort augmente les sentimens que j’éprouvais pour lui. Elle rehausse également la portée de son œuvre. Le colonel Péroz, vétéran de notre épopée coloniale, rédigeant dans la retraite, après seize campagnes de guerre, l’origine de son premier départ, ne pouvait s’empêcher de sourire quand il évoquait Louis Veuillot, qui, commodément assis dans son fauteuil, lui avait prêché les aventures et lui avait ouvert cette route incertaine. Ce sourire, les futurs lecteurs de Nolly, — ils seront nombreux, je l’espère, — n’auront pas à le réprimer. Le capitaine Détanger n’est pas une victime du hasard aveugle des combats. Entre toutes les vies, entre toutes les morts, il avait élu celles-là par un libre choix de sa volonté et de son cœur. Elles lui ont été accordées. Son titre le plus indiscutable à l’attention de l’avenir demeurera non pas seulement d’avoir écrit une belle œuvre, mais de l’avoir vécue, d’avoir été réellement l’homme de son œuvre.


AVESNES.