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joufflu, » ineffablement vulgaire, pour intriguer au Vatican. Mais en temps de guerre, comme d’ailleurs en temps de paix, on n’y regarde pas de si près à Berlin pour ce qui est des diplomates. En tout cas, la « lettre ouverte » de M. Emile Prüm ne pouvait être adressée à un personnage plus copieusement représentatif des nouvelles tendances du Centre catholique.

Verba volant. Il est difficile aujourd’hui, fût-on même « empereur d’Europe, » d’empêcher la lettre imprimée de circuler à travers le monde. Quelques exemplaires de la brochure de M. Prüm ont dû échapper à la saisie officielle. L’un d’eux est tombé entre les mains d’un jeune publiciste français, M. René Johannet, auquel nous devions déjà de curieuses études sur Chaules Péguy, sur Georges Sorel et sur Romain Rolland. M. Johannet s’est empressé de traduire ce précieux factum ; il a joint à sa traduction un certain nombre d’éclaircissemens, de commentaires et de documens qui en rendent la lecture plus intéressante et plus profitable. Grâce à lui, l’affaire Prüm est sortie du cercle étroit et mystérieux ou les catholiques allemands auraient bien voulu l’enfermer, et elle est en train de faire le tour de la presse européenne. Il n’y aura que nos ennemis pour s’en plaindre.

Car elle est fort piquante, la lettre du bourgmestre de Clervaux, et j’imagine que le bouillant député au Reichstag a dû être de bien méchante humeur en la lisant. On y apprend chemin faisant des choses très suggestives et que, ce me semble, nous ignorions. On sait, par exemple, toutes les violences dont les prêtres et les religieux belges ont été l’objet de la part des troupes allemandes. Il s’agissait de les justifier aux yeux des Allemands eux-mêmes. On fit circuler, — et « les feuilles catholiques d’édification se sont tout particulièrement distinguées » dans cette campagne « dont l’histoire ne nous offre aucun exemple, » — toute sorte d’anecdotes mensongères concernant les provocations sanguinaires dont le clergé belge se serait rendu coupable à l’égard de l’armée d’invasion. Or, il arriva qu’en plus d’une localité allemande, la population protestante, excitée par ces abominables inventions, fit retomber sa fureur sur des compatriotes catholiques ; et l’on cite, entre autres, tel curé de l’Eifel qui fut « confiné trois jours dans une étroite chambrette et accablé de mauvais traitemens. » Résultat bien imprévu d’une campagne de presse trop parfaitement conduite !