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C’est trop, en effet. Mais le « loup » allemand n’a même pas le courage et la franchise de sa violence : il aime mieux incriminer l’agneau.


Si encore, — écrit le patriote de J’accuse ! — si encore nous étions assez loyaux pour avouer notre indicible forfait !… Cela aurait encore quelque chose de fascinant, de grandiose… Un Rinaldo Rinaldi, un Richard III, un César Borgia sont des monstres, mais ils sont grands dans leur genre, et ils éveillent l’admiration comme chaque type d’homme parfait en soi. Mais nous, ah ! que nous sommes petits ! Chez nous, dans des écrits et des discours, nous prêchons la conquête et l’hégémonie mondiale, — naturellement entre initiés ! — et aux yeux du peuple aveugle et de l’étranger, nous sommes ceux qui ont été attaqués et surpris, les victimes de perfides ennemis.

Menace et défense, voilà le mot d’ordre. Assurément, le détrousseur de grands chemins est, lui aussi, en un certain sens, menacé et en état de défense, quand, après avoir attaqué le voyageur, il s’aperçoit tout à coup que des hommes bien armés viennent au secours de celui qui paraissait seul. Lui aussi, combat pour sa liberté et son existence, à la vie et à la mort. C’est dans ce sens que l’Allemagne se trouvait, elle aussi, en état de défense.


Par quelque biais donc qu’on envisage la question, « l’Allemagne est coupable d’avoir, conjointement avec l’Autriche, suscité la guerre européenne ; » et seules, ces deux Puissances sont coupables d’avoir déchaîné sur le monde pareille calamité. Et l’auteur de J’accuse ! peut conclure avec tristesse, mais avec assurance : « Jamais un plus grand forfait n’a été commis dans l’histoire du monde, jamais un forfait commis n’a été nié avec plus de sang-froid et d’hypocrisie. »

Cette guerre effroyable, qu’aucune considération morale ne saurait justifier, peut-elle au moins se justifier dans l’ordre de l’intérêt politique ou économique ? — Pas le moins du monde, répond l’écrivain allemand. Les biens pour lesquels nous prétendons combattre, nous les possédions déjà. Notre indépendance nationale ? Mais personne ne la menaçait. Notre « culture ? » Mais elle n’était pas menacée davantage. Notre « place au soleil ? » Mais nous l’avions largement, et, depuis 1870, surtout depuis l’avènement de Guillaume II, elle était plus brillante que jamais. Et ici, l’auteur trace, — d’après Bernhardi lui-même, — un rapide, mais suggestif tableau de l’extraordinaire prospérité matérielle de l’Allemagne contemporaine. A ceux qui, ne la jugeant pas suffisante, réclament des colonies, il répond, invoquant l’exemple de la France, que les colonies