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quand nous vous apercevions à travers les petits carreaux de la « voiture cellulaire ! » Nous avions un tel désir de trouver en vous quelque chose qui eût l’air de répondre à notre besoin d’émotions, besoin toujours contrarié, mais tendu jusqu’à la souffrance ! À peine sortis du village, nous quittions la grande route blanche, empierrée de cailloux de la Meuse, et, tout de suite, sur notre gauche, nous voyions se dresser, telle une poutre mal équarrie, le gros clocher trapu d’Houdelaucourt, au milieu des prairies au sol mou et ruisselant comme une éponge, où, dès les premiers jours d’automne, nous allions cueillir les veilleuses. Encore quelques tours de roue, et, bien qu’on s’y attendit, on s’écriait, avec l’accent de la surprise :

— Ah ! voici la petite église d’Haucourt !

C’était, en effet, une petite église lilliputienne, qui semblait tombée d’une boîte de Nuremberg et posée là par le caprice d’un enfant : église pour rire, où l’on ne disait la messe qu’une fois l’an, le jour de la fête. Tandis que nous la contemplions de loin, mélancoliquement, comme un joujou trop cher, et que nous ne pourrions jamais acheter, la voiture dévalait vers un bas-fond, où se terrait un pauvre village plein de fumiers et de mares croupissantes : Avillers, que signalait tout de suite son clocher pointu. Celui d’Haucourt était renflé comme une courge, celui d’Avillers, élancé et mince comme un parapluie sorti de sa gaine. Les ai-je contemplés, les ai-je aimés, ces clochers de mon pays, baroques et débonnaires, et qui semblaient faire vraiment tout ce qu’ils pouvaient pour avoir une tenue convenable sous leur vêtement d’ardoise aux couleurs sombres, comme les redingotes de deuil et de mariage de nos paysans ! Ces humbles clochers, c’était presque toute notre poésie visible !

On arrivait devant le presbytère, et, par la fenêtre sans rideaux, on apercevait, penché sur son établi, le curé, grand amateur de tournage et de découpage, — un ami de notre famille. Nous descendions de voiture pour lui faire nos politesses. Première station : ces pauses se répétaient fréquemment et allongeaient beaucoup la durée du trajet. Tout le long du chemin, foisonnaient les parens et les connaissances. Il fallait bien s’arrêter, et, comme on disait, « leur donner le bonjour, » sous peine de passer pour « des gens fières. » D’autres arrêts forcés étaient à prévoir : il y avait presque toujours un trait