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sans consoler, sont douces, apaisantes, sereines. Mais il a bien vieilli, et cela l’éloigné un peu des peines de la terre. Quant à Robert Bourgueil...

Robert Bourgueil est tour à tour enjoué, charmant, tendre ou visiblement préoccupé. Il a été très doux et très bon pour moi; mais je m’imaginais qu’il serait plus heureux encore de me revoir, ou autrement heureux. Il paraît parfois embarrassé, hésitant. Comprend-il que j’ai beaucoup de chagrin et attend-il un peu avant d’oser se montrer aussi amoureux qu’autrefois, avant de me demander de fixer le moment de notre mariage? Je trouvais cet embarras déjà ;dans ses dernières lettres. M’en veut-il aussi d’être restée si longtemps là-bas? Il me l’a dit d’ailleurs, mais très gentiment :

— Juliette, petite chérie, il faut avoir votre âge inconscient pour se jouer ainsi de tout ce qu’il y a de terrible dans l’absence. .. Vous rendez-vous bien compte de ce que vous avez fait là, méchante enfant?

— Je n’ai pas pu faire autrement, mon grand ami... et puis j’ai eu tant, tant de peine I

— Vous aimiez beaucoup Jamine, je le sais ; toutes vos petites lettres me brisaient le cœur. J’aurais tant voulu vous épargner toute douleur, toute détresse !

Et il soupira très profondément en me regardant avec des yeux pleins de secrets.

— Juliette...

— Pourquoi cet air étrange, presque méchant, mon ami chéri?

— Juliette...

— Vous savez bien que je vous aime plus encore qu’avant d’avoir du chagrin...

— Ma petite Juliette...

Dans ses yeux j’ai vu monter des larmes, et cela m’a tellement étonnée et bouleversée que, me levant du canapé où j’étais assise près de lui, j’ai mis les mains sur ses épaules.

— Ahl n’ayez pas de chagrin à cause de moi, Robert I Tout ce que je vous ai écrit, je voudrais savoir vous le redire. Mais, près de vous, je suis timide... Le sentiment que j’ai pour vous est encore plus clair qu’autrefois; je le vois comme une belle rose embaumée, toute fraîche épanouie, et plus rose encore d’orner une robe noire.j