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ouvriers que par quelques instructions de religion qu’on met-toit à la place de l’estude du matin. L’après dinée entière se passoit à jouer. Pendant tout ce séjour de Paris, je crus très peu et maigris beaucoup. Ma mère, inquiète de ma santé, prit le parti de me faire venir à Versailles et diner tous les jours avec elle. Elle défendit toute estude, toute leçon, de quelque espèce que ce fust. Elle avoit attention à ne me laisser rien manger de malsain, mais cette attention n’estoit pas poussée, à beaucoup près, aussy loin qu’elle l’avoit esté pendant mon séjour à Paris. Soit la satisfaction de ce nouveau train de vie, soit que la maladie fust à la fin de son cours, et soit parce que la volonté de Dieu n’estoit pas que je mourusse alors, ma santé se rétablit et je commençai à rengraisser. Je ne me souviens point au juste si ce fut à la fin de l’esté de 1713 ou au printemps de 1714 qu’on me ramena de Paris à Versailles. Je sais seulement que c’estoit dans une belle saison. Pendant ce temps que je n’estudiois point, je passois les deux heures de l’estude du matin avec l’abbé Montgault. C’estoit un arrangement pris pour donner à M. de Court le loisir de faire ses affaires dans Versailles. Je ne sais point combien ce congé total dura, mais je sais que ce fut assez pour que je m’en ennuyasse et demandasse de moy-même à reprendre l’estude.

Dans le temps du matin que je passois avec l’abbé Montgault sans estudier, je lisois des livres françois pour m’amuser et, spécialement, l’histoire d’Alexandre de Quinte Curce traduit par Vaugelas, qui m’amusoit beaucoup, car M. de Court avoit monté ma teste au goust de la guerre ; mais, dans ce livre, je relevois souvent des fautes de françois où le traducteur tomboit, et l’abbé de Montgault, qui estoit de l’Académie françoise et parloit très purement sa langue, comme on le voit dans sa traduction des lettres de Cicéron à Atticus qu’il donna au public, je crois, vers ce temps-là, trouvoit que mes critiques estoient communément justes.

Je luy faisois aussy des questions sur la physique. Un jour je luy demandai pourquoy une pierre tomboit, si ce n’étoit pas parce que la colonne d’air qui estoit au-dessus estoit plus forte que celle qui estoit au-dessous. Il regardoit ces questions comme au-dessus de mon âge et disoit que j’avois de grandes dispositions pour la physique.

Un jour que j’estois chez Madame ma grande mère, avec la