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précepteur de son fils, qu’il ne voulait plus voir le curé de Saint-Paul parce que celui-ci l’avait trompé.

« — Eh ! en quoi, Monseigneur ? » lui demanda l’abbé. « — En deux choses, répondit le Duc d’Orléans. D’abord, il m’a voulu faire épouser Mme d’Alincourt. — Comment cela ? — Voici : » Et avec la rigueur de raisonnement qui caractérise parfois les fous, le malheureux Prince continua : « Le curé me chargea de dire à Mme d’Alincourt quelque chose d’une espèce qui ne pouvoit lui être dite que par son directeur ou par son mari ; or, je ne pouvois pas être son directeur, puisque je ne suis pas prêtre (quoique je souhaitasse bien l’être) ; il vouloit donc'' que je fusse son mari !

« Autre bien plus grande tromperie, a-t-il continué : il m’a fait croire que Mmes d’Alincourt et de Gontaut étoient mortes, et je sais bien qu’elles ne le sont pas. »

Et l’abbé, affolé lui-même, de s’écrier : « — Ah ! Monseigneur, qu’est-ce que vous dites ? Quittez vite votre retraite, la tête vous tourne en ce moment ! » Mais, se ressaisissant, pour ne pas l’effrayer, il prit le parti de le raisonner, parla de notoriété publique, promit des extraits mortuaires, etc.

Les exemples se multiplièrent : un jour, il soutint à la duchesse de Villars qu’il l’avait vue la veille à une église où elle n’avait pas été et, qu’en outre, il avait longtemps causé avec elle. Une autre fois, son chancelier lui présenta à signer un acte relatif à des sommes considérables que lui devait l’Espagne sur la succession de la reine, sa sœur ; le Prince, ayant vu dans l’acte : « Le feu roi d’Espagne, Philippe V, » soutint qu’il n’était pas mort et refusa de signer.

Cette signature ne fut obtenue qu’un peu plus tard en persuadant au Duc d’Orléans que le mot feu était usité en Espagne comme une marque d’honneur.

Il n’en renvoya pas moins pour cela son chancelier La Granville, successeur d’Argenson, qui, devenu ministre des Affaires étrangères, continue à se lamenter sur le sort de son ancien maître.

Qu’il s’agisse d’un prince ou d’un particulier, la fragilité d’un équilibre mental déchaîne les intérêts les plus divers qui ont alors beau jeu pour s’exercer. Le fils du Régent n’échappa pas à ce danger. Sans entrer ici dans le réseau d’intrigues qui se resserrait chaque jour autour de lui, les craintes exprimées