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réclame aucune restitution : pour la France simplement vaincue, il avait exigé de l’Allemagne une petite cession territoriale. Qu’aurait-il demandé en faveur d’une France victorieuse ? Non seulement, de toute évidence la rectification de la Sarre, mais les frontières naturelles, c’est-à-dire le Rhin. Et que l’intercesseur ne prétende pas qu’il ne veut rien savoir d’une annexion opérée sans l’assentiment de la population. Quel Français ne tient pas sa nation pour si irrésistiblement attirante pour ne pas espérer, au cas où on le laisserait faire, que toutes les provinces voisines l’une après l’autre se jetteraient dans les bras de la grande nation ? Quand Renan ne distingue pas entre les traités de 1814 et ceux de 1815, c’est une autre affaire, à la vérité. Nous autres Allemands les distinguons très strictement. « Les stipulations de 1815, écrit Renan, se confondent pour nous dans les grands actes de 1814. » La confusion a toujours quelque chose de fâcheux pour celui qui la commet, puisqu’il en doit porter seul la responsabilité. En toute sincérité, je ne puis complètement croire à cette confusion. L’homme qui se plaint à tant de reprises des frontières de 1815, qui surtout à tant de reprises parle d’une rectification de ces frontières dans le domaine de la Sarre et du Palatinat où justement en 1814 les frontières étaient encore différentes ; l’homme qui, à propos du Congrès européen appelé à terminer la guerre de 1870, parle des frontières de 1815, n’aurait-il pas dû savoir ce qu’il écrivait ? Je vois un signe du puissant effet produit par la victoire allemande sur les Français bourrés de préjugés dans ce fait que leurs prétentions d’il y a encore quelques mois leur paraissent aujourd’hui si absurdes qu’ils refusent de croire qu’ils les ont élevées.


III

La seconde lettre de Strauss avait ouvert les yeux à Renan. Dans sa réplique à Strauss, parue le 15 septembre 1871, un an, presque jour pour jour, après sa réplique, il parle à son adversaire comme celui-ci méritait qu’on lui parlât dès l’abord. La paix de Francfort consommait la diminution française. L’Alsace-Lorraine était devenue le Reichsland. Renan ne s’adressait plus le 15 septembre 1871 à un adversaire censé lutter à armes égales, mais à un vainqueur gonflé, abusant sans scrupule de ses victoires.

Avec une modération qui n’en est que plus blessante, si Strauss a compris (mais a-t-il compris ? ) Renan reproche à son collègue d’outre-Rhin et d’avoir répondu, dans la Gazette d’Augsbourg, à une lettre que ce journal avait refusé d’insérer et d’avoir vendu la prose d’un Français au profit des invalides allemands.

Renan reproche ensuite à Strauss d’avoir faussé sa pensée sur les traités de 1814 et de lui avoir attribué pour la France