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C’est une opinion courante que le XVIIe siècle français a été une époque de raison souveraine, de bel ordre et d’honnête tranquillité ; en d’autres termes, et de par une vieille association d’idées, classique horriblement et l’œuvre de nos pédagogues bien pensans, nous avons accoutumé de joindre au souvenir de ce siècle une notion de tranquillité, d’ordre et de raison. Les jeunes gens sortent du collège, « persuadés que la littérature de cette époque fut rédigée par une académie honorable de beaux esprits que présidait Boileau. » Dissocions !… « Ce furent des temps riches, excessifs, fougueux et libertins. La tragédie de Racine, comme une fleur violente et douce, surgit naturellement de ce sol tourmenté et arrosé d’orages. Les poisons de théâtre faisaient frissonner des femmes qui venaient d’en serrer de réels dans un coffret, sous des lettres de leur amant. Les mœurs sont d’une belle liberté : on ne connaît que le tout ou rien, la vie des passions ou la vie de renoncement. L’hypocrisie est rare, étant inutile. La Rochefoucauld et Pascal ont établi pour jamais le scepticisme moral ; et Descartes, le scepticisme métaphysique. Molière est athée ; La Fontaine est païen : l’incrédulité et l’indifférence se partagent les esprits… » Holà ! et Bossuet, Bourdaloue ?… Bourdaloue et Bossuet, ne les oublions pas, nous allons les considérer comme des « missionnaires, » et qui ont fort à faire dans une société à laquelle Pascal et Descartes ont enseigné ou enseignent l’incrédulité morale et métaphysique, Molière l’athéisme, La Fontaine le paganisme et, Racine, la passion jusques au meurtre ; des missionnaires : et ceux qui évangélisent les sauvages, dans les pays étranges, ne sont pas plus occupés. Voilà, par dissociation d’idées, un XVIIe siècle, un Grand siècle quasi anarchique.

C’est une opinion courante et c’est une banalité qui n’avait pas eu de contradicteurs, que la fourmi, l’abeille et le castor sont des animaux très laborieux, adroits et estimables, inférieurs cependant à l’homme. Nous avons accoutumé de distinguer l’intelligence et l’instinct : ce n’est point ici que Rémy de Gourmont proteste. Mais nous avons accoutumé d’honorer plus l’intelligence que l’instinct. Bref, nous associons à l’intelligence, et à l’intelligence humaine, l’idée d’une suprématie. Lisez Descartes et apprenez qu’il ne compte pour rien les perceptions ou pensées qui ne sont pas illuminées des clartés de la consciente. Eh bien, dissocions ! Est-il évident que l’intelligence soit « le produit normal du cerveau, » qu’elle n’en soit pas une maladie, une manie ancienne ? Peu importe d’ailleurs : « une tare qui se transmet de générations en générations finit par perdre son caractère