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Il le serait déjà par cette rude affirmation de son scepticisme. Et il l’est, pour ainsi parler, tout comme un autre : par ses conclusions, car il conclut ; par ses préjugés, car il juge, et l’on ne juge que prématurément ; par ses habitudes d’esprit, et c’est là que tout dogmatisme a son berceau, son refuge ou son très sûr logement. Sceptique ? Il croit à la science ; il a beau la décrier ou la célébrer comme un rêve, il compte sur elle et même il attend d’elle, avec un peu trop d’ingénuité, ce que jamais elle ne lui donnera, une philosophie. Sceptique ? Il ne croit pas à la métaphysique, et même il en fait bon marché, un peu vivement ; mais il croit à la physique, et ce n’est pas moins périlleux. Sceptique ? Il ne croit pas à la réalité du monde extérieur : l’idéalisme berkeleyen l’a séduit, comme une ravissante dissociation d’idées ; mais il est matérialiste néanmoins, car la physique parait ainsi plus commode et, l’apparence phénoménale, on peut la désigner sous le nom de matière, quand on sait ce que parler veut dire. Voilà des croyances. Il n’en faut pas tant pour dénigrer les croyances d’autrui : dont Rémy de Gourmont ne se prive pas. Et il n’en faut pas tant pour se priver de comprendre, en dépit d’une intelligence admirable, ce qui n’est pas le dogme qu’on a choisi : le catholicisme, par exemple, et Pascal dont le tout ne consiste pas à prêcher le scepticisme moral, et Descartes dont le tout ne consiste pas à prêcher le scepticisme métaphysique, etc., et les « curés !… » Ce malin sceptique a fait à son scepticisme la part plus petite qu’il ne s’en est avisé. Tels sont ses torts, et les torts d’un Encyclopédiste : camarade de Diderot.


Notons encore, pour achever la définition de cet Encyclopédiste, qu’il a été le contemporain, l’ami, l’un des maîtres d’une littérature que Diderot n’eût point aimée : le Symbolisme. Rémy de Gourmont fut, il y a un quart de siècle, un de ces jeunes gens qui eurent l’ambition d’instaurer une esthétique toute neuve. On les a vilipendés ; et leurs livres, parmi lesquels il y a quelques chefs-d’œuvre, sont l’offrande la plus jolie que l’art le plus pur ait sans doute reçue en ces années-là. Plus tard, et quand il sembla que l’école se démodait, Rémy de Gourmont lui demeura fidèle : « La marque symboliste est noble, écrivait-il, et je tiens beaucoup, pour ma part, à la porter visible et même impertinente. » Comment le symbolisme s’accorde-t-il avec le matérialisme et le positivisme que Rémy de Gourmont n’a pas moins affichés ? Eh bien ! le positivisme n’est pas l’ennemi de la mysticité ; quant au matérialisme de notre auteur, j’ai dit que Berkeley en eût accepté, sinon les conclusions, les prémisses. Et quel amateur