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20 REVUE DES DEUX MONDES, tiple et muet? Non, non, arrête, je t’en supplie. Je chéris la faiblesse des autres; je ne supporte pas la mienne, Je veux être forte, simplement, et savoir supporter ce qui me pèse. Ce qui me pèse, n’est-ce pas mon amour? Et si on me l’enlevait, ne serais-je pas sans raison de vivre? Amour que je croyais si doux, si ardent, mais si clair, et si pareil à moi-même, vous ne me ressemblez pas; vous n’êtes pas fait à mon image; vous vous êtes glissé dans mon âme, avec un masque gai et un habit chatoyant, afin que je ne me méfie pas et vous accueille; mais désormais sûr de régner, vous avez dépouillé vos insignes • votre habit est couleur de cendre, et votre visage est pâle comme la mort. Bel (( andante » mélancolique, pourquoi mon amour m’est- il étranger? Pourquoi ce sentiment, né de moi,. né en moi, ne ressemble-1-il pas à sa mère? Pourquoi n’est-il pas enfantin- joyeux, insouciant et franc comme je l’étais? Mais voici le « scherzo » plein d’ailes et de bruits de pas si légers qu’ils vont bientôt quitter la terre pour courir enfin dans l’air bleu ; chuchotemens d’allègres promesses, annoncez, vous le retour des fées ? Esprits charmans, esprits légers de ma jeunesse, révélez vite votre présence, ne demeurez pas plus longtemps invisibles à mon cœur anxieux. Oui, oui! Tout peut redevenir lumineux encore! Redites-le- moi; répétez-le; assurez-le-moi bien. C’est ma faute si tout est triste. Qu’est-ce que je reproche à maman? Tout simplement d’être trop jeune et gaie. Qu’est-ce que je reproche à mon ami? Une attente de quelques jours... Aurais-je une vilaine nature? Serais-je une méchante Juliette sans indulgence et sans bonté? Frémissez, palpitez, battez, ailes fraîches de l’espérance, courez, courez, pieds des lutins, talons des fées; poursuivez- vous le long des jours, qui, comme des ruisseaux d’argent, peuvent bien refléter encore le visage bleu du bonheur. Hâtez, vous 1 Venez jusqu’à moi, que je sente la verte haleine d’un malin du printemps passé. Je me meurs d’un jour frais d’avril, et j’aurai bientôt pour sépulcre le noir et voluptueux souvenir d’une nuit, d’une nuit de juin...

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Tout s’est tu; tout s’évanouit, s’évapore dans l’incertitude de l’humain silence.