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avaient fait des offres supérieures à celles des Alliés. Et cela, en effet, de la part de la Bulgarie, explique tout. Sir Ed. Grey a donc pensé que, pour amener la Grèce à prendre parti en faveur de la Serbie, il suffisait de lui faire des offres qui combleraient tous ses vœux : en conséquence, il lui a offert, non seulement tout le rivage de la mer Egée jusqu’à Énos, c’est-à-dire toute la partie de ce rivage qui est aujourd’hui bulgare; non seulement Smyrne sur la côte asiatique avec une vaste région environnante qui est remplie de glorieux souvenirs helléniques et occupée presque complètement par une population grecque ; non seulement tous ces territoires qui n’appartiennent pas à l’Angleterre et dont elle ne pourra disposer qu’après la victoire, mais encore l’Ile de Chypre qui est son bien propre, ou du moins qu’elle occupe et dont personne ne peut lui disputer la possession. Il aurait suffi à la Grèce de dire oui pour que cette possession lui fût transmise non pas demain, mais aujourd’hui.

Chypre aussi est une terre hellénique et le gouvernement grec désire ardemment la posséder un jour : rien ne compléterait mieux son domaine maritime qui, en si peu de temps, s’est grossi de la Crète, de Chio et de Mytilène, et que l’Angleterre autrefois, par une générosité dont on trouverait peu d’exemples dans l’histoire, avait déjà enrichi des Iles Ioniennes. Nous sommes bien sûr que, lorsqu’une offre aussi tentante est arrivée à Athènes et que le conseil des ministres en a pris connaissance, il y a eu un peu d’émotion parmi les hommes politiques qui composent ce cénacle, quelque inféodés qu’ils puissent être à l’Allemagne et au Roi. Mais ce sentiment a été bientôt réprimé et il a été remplacé par un embarras dont leur réponse porte la trace. On a fait campagne contre M. Venizelos en l’accusant d’avoir voulu céder Cavalla ; on fera campagne contre ses successeurs en les accusant, et beaucoup plus justement, d’avoir refusé Chypre. Certes, ils voudraient bien ne pas l’avoir fait d’une manière définitive ; ils voudraient bien en être maîtres un jour, et rien n’est plus entortillé que leur réponse, si on en juge par la note officieuse qui a paru dans tous les journaux d’Athènes. « La Grèce est infiniment touchée, y lit-on, des offres qui lui ont été faites, bien qu’elles n’aient pas pris encore une forme absolument concrète. Elle ressent une vive reconnaissance envers l’Angleterre pour l’offre de la cession de l’Ile de Chypre, mais ce n’est point là une compensation suffisante au risque d’une guerre. »

Voilà le vrai mot lâché : la Grèce ne veut pas courir le risque d’une guerre, et elle sacrifie tout, ses aspirations nationales, ses