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mettrait incontestablement du côté de nos ennemis, et sur notre flanc droit, donnant la main aux Roumains, l’Autriche. Tandis qu’au milieu même de nos forces, mais ayant une communication par mer avec Constantinople, il y avait des forteresses turques imprenables et occupées par une forte garnison, Schoumla et Varna.


Cet ensemble de faits exigeait un maniement sérieux et systématique. Il était évident qu’une action diplomatique énergique et habile devait être exercée sur la Porte avec l’autorité que donne la voix d’un représentant diplomatique d’un rang élevé. La nécessité du rétablissement des relations régulières avec la Turquie se faisait sentir sous tous les rapports ; mais, au lieu de prendre à ce sujet une décision catégorique, le ministère s’arrêta à une demi-mesure. Je fus nommé chargé d’affaires à Constantinople et reçus l’ordre de me transporter à Péra avec les quelques employés qui formaient ma chancellerie diplomatique et auxquels on allait en ajouter d’autres qui avaient fait partie de l’ambassade avant la guerre. Cette décision me fut, je l’avoue, souverainement désagréable. Outre la question d’amour-propre, je croyais avoir droit à une position plus élevée que celle d’un simple chargé d’affaires, et l’opinion publique au quartier général et dans le corps diplomatique de Constantinople me le destinait : il était évident que ma voix ne pourrait pas avoir à la Porte la même autorité que celle d’un ambassadeur ou même d’un ministre ou envoyé en mission spéciale, ce qui au fond répondrait le mieux aux conditions dans lesquelles nous nous trouvions vis-à-vis de la Porte.

Mais outre cela, j’avais des motifs absolument personnels, mais décisifs, pour ne pas désirer prolonger mon séjour en Turquie. J’étais moralement découragé, fatigué, brisé. Mes forces physiques étaient épuisées, et, séparé depuis dix-huit mois de ma femme et depuis plus de deux ans de mes enfans, je sentais un besoin impérieux de me reposer et de me retremper dans la vie de famille. J’adressais donc un télégramme au ministère pour demander à être libéré de la charge qu’on venait de m’imposer, et insister sur la nomination d’un agent diplomatique d’un rang plus élevé. Je donnais pour motif le mauvais état de ma santé, mais, à Pétersbourg, on crut que ce n’était que l’effet d’une ambition déçue et on maintint la