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devait, après une grande parade, prendre congé des troupes qu’il avait commandées et conduites à la victoire, et s’embarquer pour Odessa, tandis que son successeur était ce jour même attendu de cette ville. Je savais que, pendant ma maladie, la tension des rapports entre le commandant en chef et son frère l’Empereur n’avait fait que croître, et que le rappel du grand-duc en avait été la suite. Je savais que les accusations les plus insensées étaient colportées contre Son Altesse Impériale, qu’Elle en était profondément blessée et chagrinée, et je me souviens vaguement qu’au moment où je tombais malade, le grand-duc avait envoyé à Pétersbourg le général prince Imérétinsky avec des explications verbales auprès de l’Empereur, et que j’avais aussi pris part à une petite réunion où le prince était instruit de la situation générale dont j’étais chargé de lui exposer le côté politique. Maintenant Imérétinsky revenait avec Todtleben comme chef de son état-major, ce qui blessa encore le grand-duc.

Le bâtiment qui l’emportait, — c’était, je crois, le yacht Livadia, — devait mouiller pour quelques heures dans le Bosphore, et je jugeais qu’il était de mon devoir d’en profiter pour aller saluer à bord mon ancien chef que j’estimais de tout mon cœur, et dont la disgrâce imméritée me touchait profondément. Ce fut ma première sortie ; mais, tout chancelant, je montai à bord du navire et pris d’une manière touchante congé du grand-duc et des personnes de sa suite. J’appris depuis que, lorsque je quittai la Livadia, le grand-duc dit à son entourage : « Pauvre Alexandre Ivanovitch, je crains que nous ne le revoyions plus ! » tant j’avais l’air faible et malade. Je me rendis de là à bord du bateau qui venait d’amener Todtleben et se trouvait également dans le Bosphore, car j’avais été avisé de Pétersbourg que le nouveau commandant en chef était porteur pour moi d’ordres personnels de l’Empereur. Le général, qui allait, je crois, se rendre à bord de la Livadia, me dit qu’il voudrait me trouver à l’ambassade avec le prince Imérétinsky, car il avait à m’entretenir de beaucoup d’affaires, et je rentrai à Péra complètement épuisé par cette expédition.


Le général Todtleben arriva en effet à l’ambassade vers onze heures, accompagné du prince Imérétinsky. M. Onou les