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JEUNE FILLE.

— J’avais pris la résolution de tout quitter dès maintenant pour le suivre, afin de ne pas attendre, afin de jouir plus vite d’un bonheur sans aucune ombre, et tout était prêt pour notre départ, et puis... — Et puis? Elle se laissa retomber en arrière et parut diminuer, rape- tisser, disparaître dans les coussins à l’angle du divan. — Et puis, j’ai compris que moi, moi seule, je n’aimais plus autant; que j’étais toute prête à n’aimer plus, que ma ferveur s’apaisait, que ma splendeur intérieure éteignait peu à peu son rayonnement jusqu’alors infini, et je compris que bientôt je n’apporterai plus à l’amour de mon amour qu’un cœur obscur, résigné sans doute à de douces habitudes, mais sans chaleur, sans véhémence, sans profusion et sans beauté. Elle serra ses mains jointes entre ses genoux rapprochés, et tout son visage devint si sombre que je ne voulus plus le regarder. — Avec épouvante et clairvoyance, je mesurais chaque jour, chaque nuit, chaque heure, les progrès inverses de ce sentiment que j’avais pu croire éternel ; il se retirait de moi comme la mer abandonnant les sables; je n’étais pas plus cou- pable de ce tourment que la grève délaissée des vagues. Je n’aimais plus ; je n’aime plus. Et malgré moi, le regret de l’amour m’environne, et je ne peux pas être certaine que, pour en connaître encore l’ivre nouveauté, je ne marcherais pas malgré moi vers un autre amant, vers un autre espoir... Ainsi le voyageur, de rivage en rivage, cherche la chaleur du soleil qui fuit; il va de contrée en contrée, croyant découvrir le climat du paradis, et, aux premiers froids, sentant qu’il se meurt, infi- dèle au pays qui lui fut doux, il se remet en marche, parce qu’il ne peut vivre sans le soleil... — Angelise... ô ma chère Angelise... — Ne pleure pas, Juliette ; sois fière de ton amie. Ces recommencemens, je n’en veux point ; ces tentations, à tout jamais je les écarte. Je ne veux pas de ces voyages. En l’hon- neur de ce qui fut si beau et qui déjà n’est plus, je renonce à toutes les promesses humaines, à toutes les possibilités futures. De mon plein gré et pour être sûre de ne plus jamais aimer, je referme les yeux sur les bonheurs du monde ; je vais expier dans un cloître la faute que j’ai commise en n’ayant pas su