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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/295

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JEUNE FILLE.,


Perrette, malgré sa douleur, m’a écrit une longue lettre très calme, très résignée, pleine d’orgueil et de désolation; elle me dit : « Ne me plains pas. J’ai, pendant quelques semaines, possédé tout l’amour et tout le bonheur. Cette joie-là ne se mesure pas au gré du temps; et ces courtes heures ont contenu un peu de l’infini. »

Elle me dit qu’elle va rester encore chez ses beaux-parens dont le désespoir est affreux, et puis qu’ensuite elle aura besoin de moi et me préviendra. Elle peut compter sur mon amitié.

Je lis et relis sa lettre, décousue, hachée, fiévreuse et pourtant soutenue par cette robustesse que Perrette possédait autrefois au suprême degré et qu’elle semble avoir entièrement retrouvée au cours de ces instans terribles. Et pourtant, quelles affres elle a vécues!... Elle l’attendait. Elle savait que pour venir la rejoindre il dominait le vent, les nuages, les vertigineuses vallées, l’effroi des précipices; que dans les rafales des houles aériennes il planait au-dessus des gouffres et des cimes, parmi l’immensité des monts et leur colossale multitude ; cet homme, son amour, son espoir, sa vie, elle savait qu’il n’était alors rien qu’un point à peine perceptible, un point pensant dans l’espace; elle savait que, presque surhumain d’intrépidité, il dirigeait son joujou de toile vers d’incroyables hauteurs, cœur vivant penché sur la palpitation du moteur aveugle, yeux terrestres s’essayant à percer les étendues où planent les aigles; elle savait que ce jeune homme, aussi fabuleux que Persée, allait ainsi venir la délivrer, elle, petite Andromède torturée, des liens étouffans de son angoisse, et de toute l’horreur de son attente. Hélas I il est tombé à ses pieds.

Il a vécu quelques heures, elle s’est penchée sur lui, elle a entendu sa voix murmurer dans un dernier souffle :

— Et pourtant, je t’aimais...

Oh! ces derniers mots, comme ils m’émeuvent, et comme cette petite veuve au cœur fier doit se les répéter avec ivresse et désespoir 1

(( Et pourtant, je t’aimais... » Mais, plus il est doux, précieux et bon de posséder l’amour, la vie et la jeunesse, plus il