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JEUNE FILLE.


son miroir, que la clarté empèciie de dormir, brille comme un grand œil ouvert.

Elle est calme, ainsi qu’une enfant sage... Jadis, quand j’étais moi-même enfant, combien de fois a-t-elie dû s’asseoir à mon cbevet et voilier sur mon léger sommeil! A mon tour, je vçille sur toi.

Je ne te dirai rien de ce qui causerait ta peine; si je te confiais tout mon cœur, tu croirais nécessaire de renoncer à ta joie, peut-être même la repousserais-tu avec horreur, et n’aurais-tu plus d’amour pour ce que tu crois à présent ta félicité.1

Car le bien et le mal sont une chose étrange ; il est bien, il me semble bien, que je me taise, mais si je parlais, il te paraitrait bien de te sacrifier, toi aussi, et ni toi, ni moi ne serions plus jamais heureuses ; le bonheur s’élève-t-il donc toujours au milieu du silence, comme les palais enchantés? Tu ne sauras rien. Je m’en irai, de façon à ne pas te laisser l’ombre d’une appréhension ou d’une tristesse. Je m’en irai... C’est te perdre qui m’épouvante... En perdant Robert, que je croyais mon amour, je n’ai perdu qu’une des images du bonheur, qu’une des apparences de l’amour. J’ai toujours en moi tout l’amour, et devant moi, tous ses futurs mirages... Mais toi, toi, chérie, qui te remplacera dans mon cœur? Ah! vous laisser à un autre, Marianne! Savoir que vous aimerez un autre être, plus encore que vous ne m’avez aimée, comprendre que dans votre vie je ne tiens plus la première place, et connaître cette certitude que, sans moi, vous pourrez exister, rire, ô Marianne, être heureuse plus que je ne vous rendis heureuse et peut-être... sur vos genoux, plus tard, bercer un nouveau petit enfant... C’est de tout cela que je souffre le plus fort et le plus amèrement.

Elle dort, protégée par ses cheveux défaits, comme par un sombre voile aux reflets dorés... Mais sous les jeux de la lumière, n’est-ce pas un cheveu blanc que je vois luire sur ses tempes; un... deux... plusieurs cheveux blancs. Je ne les avais encore jamais aperçus... Et j’interroge son visage. Au coin de sa bouche, quel est ce pli ?... Au coin de ses yeux, quel est cet imperceptible coup d’ongle?... La menace d’une ride...

Quoi! vous aussi... Vous qui fûtes ma déesse de beauté et