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JEUNE FILLE.


de la terre, a rejoint le ciel ; et la lune si haut, si loin, apparaissait comme dans un puits vaporeux. Cette brume balsamique, ce froid d’argent qui circulait, embaunié, chargé de l’odeur des varechs et des pins, était une chose enivrante. Cette nuit de brouillard, toute laiteuse de fumée humide et lunaire, contenait plus de délices que les nuits d’été. Limbes... arômes... pureté de l’air malgré les voiles doux qui m’environnent,... clair de brouillard... nuit fantomatique, nuit verte et blanche, nuit parfumée, de vous n’allais-je pas surgir et renaître à l’aurore, dans l’éclat nouveau du soleil?

En face de M"’* de Kervenargan, je pense à ma mère. Je regarde le visage aux lignes pures et si nobles, les traits augustes, la peau légèrement flétrie, mais pure sous les cheveux si blancs; je regarde les belles mains ridées, le corps aux contours amples, à la majesté simple, et la robe noire sans mode et sans âge... et je pense : Quand maman sera vieille ainsi, je m’assiérai en face d’elle, comme en face de M""^ de Kervenargan, je sourirai à ses yeux apaisés, rien ne nous séparera plus et je pourrai me dire que je n’ai causé aucune de ses rides, aucun de ses cheveux blancs, aucune de ses peines...

  • *

La bonne fermière sert M’"^ de Kervenargan avec un dévouement inlassable. Que c’est beau le mot « servir 1 » Et sur le front de celles qui ont vieilli en servant leurs maîtres avec tant d’amitié ou d’amour, n’y a-t-il pas un rayonnement un peu sacré?

  • *

Dans ma chambre, l’été dernier, il entrait toujours, le matin, une quantité d’abeilles; c’est qu’on avait dû chasser un essaim qui s’était suspendu aux colonnettes antiques du lit; toujours, par la suite, quelques-unes d’entre elles revenaient au lieu qu’elles avaient d’abord élu...

Malgré moi, maintenant, lorsque je m’éveille, je tends l’oreille aux bruits du passé; mais je n’entends plus le bourdonnement d’or... les abeilles sont parties... Et mes tristesses aussi vont m’abandonner...