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Plus que jamais, la présence de Bismarck à la tête des affaires était considérée comme une garantie de la sécurité de l’Empire. Ses ennemis eux-mêmes en convenaient ; ils pensaient que le moment n’était pas opportun pour travailler à son renversement.

« Nous n’aurions pas à nous réjouir de sa disparition, écrivait l’un d’eux, car il est aujourd’hui un modérateur. Qui pourrait le remplacer dans ce rôle ? Ce n’est pas le général de Waldersee, qui est tout à la volonté de Guillaume ; ce n’est pas davantage Herbert de Bismarck, qui suit aujourd’hui les inspirations de son père, mais qui, livré à lui-même, deviendrait rapidement plus dangereux qu’il n’est. Par son tempérament brutal au fond, sous un vernis de politesse affectée et de bonhomie familière, il répond trop à la nature de Guillaume II pour pouvoir y résister. Il a d’ailleurs pour homme de confiance le baron de Holstein, l’ancien espion du comte d’Arnim, détracteur systématique de la France et partisan passionné de mesures violentes. Bismarck pour Bismarck, mieux vaut le père que le fils. »

Ainsi, dès le début du règne de Guillaume II, le maintien du prince de Bismarck au pouvoir s’imposait et ses adversaires les plus déclarés s’inclinaient patriotiquement devant cette nécessité.

Ce n’est pas cependant que leur ressentiment se fût apaisé ; il était entretenu, — tel un feu sacré confié aux soins de vestales, — dans l’entourage des deux impératrices veuves qui nourrissaient contre Bismarck tant de griefs légitimes. Il avait des échos dans les Cours européennes. A Vienne, il avait provoqué une brouille entre l’héritier de la couronne, l’archiduc Rodolphe et son intime ami l’empereur Guillaume, « brouille de camarades, » mais poussée si loin que bientôt après, en apprenant que Guillaume allait arriver dans la capitale d’Autriche, l’archiduc partait sous prétexte d’aller chasser dans le Tyrol en compagnie du prince de Galles qui, pas plus que lui, ne voulait se rencontrer avec l’impérial visiteur.

A la Cour d’Angleterre, les dispositions n’étaient pas meilleures. On y connaissait les scènes violentes qui avaient eu lieu entre la veuve de Frédéric III et son fils, ainsi que divers rapports confidentiels concernant Bismarck, envoyés à Londres par l’impératrice Victoria, avec des papiers de son mari, et qui témoignaient de la malveillance du chancelier pour l’empereur