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quand ma présence, auprès de lui, lui procurait un moment de répit. Au reste, il avait plus de cœur que de tête et eût fait un mauvais empereur allemand.

Cet acharnement contre la mémoire d’un mort témoignait des sentimens haineux de Bismarck, mais aussi de sa maladresse et de son défaut de clairvoyance. En s’exprimant ainsi sans mesure, il attisait les inimitiés déjà déchaînées contre lui, il en augmentait le nombre et la violence. Dans le monde de la Cour, on commençait à se demander si l’Empereur ne se lasserait pas bientôt d’entendre parler de son père avec tant d’injustice et d’amertume.


II

En étudiant avec quelque attention les incidens de toutes sortes qui, à cette époque, agitaient plus ou moins la Cour de Berlin et en les suivant dans leur succession autant qu’il est possible de le faire à travers les obscurités qui les enveloppent, on est amené à se convaincre que c’est à la date du 31 janvier 188 ! ), que commencent à s’opérer, dans la mentalité de Guillaume II, les changemens qui vont aboutir à la disgrâce du chancelier.

Ce jour-là, arrivait à Potsdam la nouvelle du drame de Meyerling. La mort tragique et mystérieuse de l’archiduc Rodolphe d’Autriche impressionna douloureusement l’Empereur. Comme nous l’avons dit, des souvenirs communs d’enfance et de jeunesse unissaient les deux princes. Mais, depuis longtemps, les liens de leur amitié étaient détendus. Leurs relations avaient perdu tout caractère d’intimité et de confiance. Egalement lié avec le prince de Galles, l’archiduc s’était associé aux ressentimens que l’héritier de la couronne britannique nourrissait contre son neveu depuis que celui-ci s’était révolté contre ses parens. Il ne dissimulait pas que son inclination antérieure pour Guillaume n’existait plus. Mais l’Empereur allemand ne s’était pas détaché dans la même mesure de son ancien camarade. On en trouve la preuve dans la vivacité des regrets qu’il manifesta en apprenant sa mort. L’ambassadeur d’Autriche à Berlin en fut le témoin. L’Empereur venu en personne, pour lui communiquer le télégramme par lequel François-Joseph lui faisait part de la mort de son fils, se présenta à lui,