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pas dictée par son cœur encore tout endolori des coups que lui avait portés le chancelier. Ce qui le prouve, c’est que plus tard certains publicistes ont pu rappeler sans être démentis que, lorsqu’elle parlait de ces choses, elle justifiait son ressentiment en montrant la dépêche brutale et cruelle qu’à la veille de la mort de Guillaume Ier, Bismarck avait envoyée à son mari à San-Remo pour lui ordonner, au nom de l’Empereur mourant, de rentrer immédiatement à Berlin. En montrant cette dépêche, elle disait :

— Dieu nous a vengés.

En ce qui touche les témoignages révélateurs de la colère de Bismarck, nous pouvons être plus affirmatif. Ici en effet, c’est lui-même qui par sa parole a dissipé à l’avance toutes les obscurités. L’ambassadeur de France étant allé le voir le 22 mars, il commence par lui déclarer, plus ou moins sincèrement, qu’il a toujours hautement apprécié les Français.

— Si les nécessités de la politique et les intérêts de mon pays m’ont forcé de les combattre, si même les discours parlementaires et les formes oratoires m’ont entraîné à des appréciations peu obligeantes, je n’ai jamais eu de haine contre eux ; j’ai toujours pensé que je m’entendrais plus volontiers avec eux qu’avec d’autres. Vous avez bien dû vous en apercevoir.

L’ambassadeur n’est pas convaincu par ce regret tardif ; mais la politesse l’oblige à feindre d’y croire. Bismarck mis en confiance continue avec la vivacité d’un homme qui éprouve le besoin de laisser son cœur déborder :

— Vous seriez surpris si je n’étais pas blessé de la désinvolture avec laquelle l’Empereur s’est débarrassé de moi comme d’un mentor incommode. J’étais un écran qui voilait ses rêves de gloire. Espérons qu’il n’épuisera pas le dévouement monarchique de son peuple, si profond qu’il soit. Quelle politique va-t-on faire maintenant ? Je l’ignore, mais je ne suis pas surpris que mon fils désire s’en rendre compte avant de rester au service, même comme ambassadeur.

Ici encore il ne se départait pas de sa vieille habitude de dissimuler la vérité. Il est probable qu’Herbert de Bismarck, eût-il été libre de conserver ses fonctions, aurait considéré comme un devoir de suivre son père dans sa retraite. Mais il était averti qu’il ne les conserverait pas. L’Empereur était très excité contre lui ; il le rendait même responsable de certaines