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répond qu’il n’aurait pas fait la moindre inconvenance pour elle, et qu’on n’aime pas la femme à laquelle on n’est pas prêt à tout sacrifier. Elisa se figurait que, jusqu’à présent, il n’était pas aussi amoureux de sa cousine que de la petite Louise ; mais je l’ai convaincue du contraire par mes propres observations. Elisa la voit d’un œil sincère, elle prétend que c’est elle qui a fait toutes les avances ; c’était chez elle un plan fait plutôt qu’un entraînement du cœur, qu’elle n’a ni bon, ni sensible. Elle le poursuit dans tous les coins. Il faut qu’il s’occupe d’elle constamment. Elle la trouve moqueuse, fausse, coquette, vaine, envieuse des autres femmes, jalouse ; elle n’est bien qu’en apparence, et parce qu’elle veut l’être dans un moment donné. Elle a enchanté tous les gens de Constance à cette soirée de l’autre jour, et, par derrière, elle s’en moquait impitoyablement.

En descendant, nous l’avons trouvée au salon. Elle nous a saluées d’un air si froid que je n’ai pas été tentée de m’approcher d’elle, et, comme le Prince y était, et la Reine pas, nous avons pris un prétexte pour remonter chez elle et ne paraître qu’avec elle. D’abord, en sortant de table, j’ai été jouer au billard avec Elisa. Lorsque la Princesse y est venue avec son cousin, je suis montée chez moi pour écrire au colonel Vaudrey pour le passeport. La devise de ses armes est assez fière : « J’ai valu, je vaux, je vaudrai. » Lorsque je suis descendue, la Princesse allait se coucher, devant se lever à quatre heures, pour aller avec son père, son frère et son cousin, voir une campagne près de Rosbach. Le Prince, qui la tenait par la main, la lui a baisée en murmurant quelques mots de tendresse, dont le dernier était baiser. En attendant le coucher, j’ai causé dans un coin avec ce bon Conneau, qui est ici le seul ami que j’aie, et qui m’afflige bien en pensant à nous quitter… Il voudrait trouver à vendre son épingle de diamant pour avoir prêt de quoi s’en aller…

Hier matin, en descendant pour déjeuner, j’ai été très étonnée de rencontrer la Princesse ; je la croyais partie avec ces messieurs. On voyait qu’elle avait pleuré de colère de ce que son père l’avait laissée ; mais, en femme qui sait se contraindre, elle faisait semblant d’en rire… Lorsque, à trois heures, les Princes sont revenus, je suis descendue pour leur dire le plus gracieux bonjour que j’ai pu, et suis vite remontée chez moi pour laisser les amoureux jouir du plaisir de se revoir. Le Prince était fort triste ; il avait dit à sa cousine qu’il avait reçu une lettre qui lui