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Reine privée de son seul bien, abandonnée, et ayant plus que jamais besoin de mes consolations et de mon dévouement…

Elisa a tâché de nous faire rire de la princesse Mathilde, qui, entre ses repas, se bourre de gâteau Campan pour pouvoir, à table, se donner l’air sentimental et ne pas manger. Alors, le Prince lui dit bien tendrement : « Mathilde, soyez donc raisonnable, mangez donc. » Et Elisa se mord les lèvres pour ne pas éclater. Mme  de Reding est une excellente femme ; je l’apprécie tous les jours davantage. Elle disait comme nous : « C’est une grande folie au prince de Montfort d’emmener tout son monde pour revenir au mois de septembre. Il ferait mieux de laisser sa fille. » Mais Mme  de Reding ajoute que, là-dessus, il n’entend pas raison. Elle est revenue, une minute après, avec sa jolie Princesse, qui était inquiète du Prince, que, de ma fenêtre, nous voyions voltiger sur son cheval, avec des éperons. Elle lui a fait signe que c’était assez, et il a cessé. S’il en est ainsi, un pareil amour doit rendre bien heureux. Dieu veuille que cela dure longtemps !…

Jeudi 19 mai 1836.

Me voici de retour à Arenenberg. Huit jours de repos de corps après la plus effroyable secousse de l’âme [la mort de sa mère survenue le 5 mai] se sont écoulés. J’ai quitté ma pauvre Fanny, et, en me retrouvant seule, je sens plus cruellement le poids de l’horrible douleur qui m’accable… Un domestique du Roi m’attendait au débarqué, ainsi que Mme  de Reding et Mlle  de Perrigny. On venait de visiter en masse le château de Gottlieb. Il est à vendre. C’est, en ce moment, ce qui occupe le Roi. Pourtant, il a fixé son départ à lundi… On joue aux questions, aux charades et, la veille, la Reine avait habillé sa jolie nièce dans un des costumes de la Cour de l’Empire qui la rendait éblouissamment belle. Nous sommes arrivées au départ, et chacun m’a accueillie gracieusement. J’avais le cœur bien gros, mais j’ai fait bonne contenance…

En sortant de table, toute la société est descendue faire une promenade sur le lac. Le Prince avait commandé les chanteurs d’Ermetingen dans un autre bateau. C’était pour fêter l’objet de son amour. C’est le 27 la naissance de sa jolie cousine ; elle aura seize ans. Mais, comme ils ne seront plus ensemble pour fêter ce jour heureux, on le célèbre d’avance ! — Le temps était