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le Prince est arrivé. Il s’était arrêté et n’avait pas été mouillé. Aussitôt qu’il a paru dans le cabinet de sa mère, j’ai bien vite filé et ne suis arrivée qu’au moment où l’on passait à table pour laisser le temps des causeries.

Je me suis retrouvée à côté du Prince comme jadis. Il y avait bien longtemps que cela ne m’était arrivé. Il a conté qu’ils se sont arrêtés tous ensemble à la Houpe où ils ont fait un déjeuner excellent. Nous n’avons su de ce tendre moment d’adieu que le bon appétit du Prince Napoléon. Le Prince prétend que rien ne le faisait plus rire que de voir comme la Princesse Mathilde prenait au sérieux les taquineries de son frère et s’en fâchait. Dieu veuille qu’il rie toujours de ces fâcheries-là ! il lui arrivera de se fâcher avec tout le monde !… Le pauvre Prince ne faisait que soupirer. Il a été gentil pour nous pendant le dîner. Il nous a conté qu’en revenant et sortant de Constance, il avait vu tout le monde en émoi sur la route. Il en avait demandé la raison, et on lui avait répondu que c’était un cheval qui venait de prendre le mors aux dents, les rênes s’étaient cassées ; le cocher et un monsieur étaient sautés hors de la voiture pour tâcher de l’arrêter ; ils n’avaient pu réussir, et il restait dans la voiture une femme et sa petite fille jetant les hauts cris. Le Prince alors a mis Cora au grand galop et, en un clin d’œil, a rejoint et arrêté le cheval. La femme est descendue de voiture avec la petite fille en joignant les mains pour le bénir et lui disant : « Vous êtes notre sauveur. » Je jouissais pour le Prince du bonheur d’avoir sauvé la vie à ces pauvres gens. — « Cela portera bonheur aux voyageurs, mon Prince, » lui ai-je dit. — « Je l’espère, m’a-t-il répondu avec un gros soupir. Mais je n’y ai aucun mérite, il n’y avait pas de danger à courir, ni de difficultés à vaincre. » — C’est égal, c’est un bon mouvement, et tous les Constançois, qui vous adorent déjà, vont vous porter aux nues. J’en ai un grand plaisir pour vous. » Il a eu un long tête-à-tête avec sa mère, et, à neuf heures, il a été se coucher, bien fatigué, disait-il, des douze lieues qu’il avait faites à cheval. En nous quittant, il nous a dit adieu, devant partir le matin à quatre heures. Il a pris congé de sa mère. Personne n’a dit où il allait…

La princesse Mathilde m’a appris que la grande-duchesse s’annonçait après la Pentecôte. Le Duc d’Orléans voyageant dans le Nord pour s’y choisir une femme, et la grande-duchesse