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40 REVUE DES DEUX MONDES. rentes. ventl que ne pouvez-vous me disperser en atomes impondérables, me soulever, cendre légère, et me mêler, oubli, poussière, aux nuages et à l’air du soir ! — Mais vous serez, Robert, aussi loyal que je suis honnête ; vous n’expliquerez pas à Marianne, de vive voix ou dans vos lettres, que cette absence n’est qu’un petit temps d’épreuve, et que vous reviendrez, dès que l’insupportable Juliette aura pris son parti des événemens. — De quoi pouvez-vous me soupçonner là? Elle ne sait pas que je vous aimai, que vous m’aimez. Mon plus cher désir est que toujours elle l’ignore. — C’est aussi le mien. — Juliette..., je n’ai pas cessé de vous chérir et de vous aimor malgré tout; votre peine me déchire; ne me méprisez pas. Voyez. Pour obtenir tout mon pardon, je remets ma féli- cité future, ma chance entre vos petites mains miséricor- dieuses autant que sages. Voyez-vous, Juliette, autrefois j’ai été bien malheureux; je l’étais encore quand je vous ai rencon- trée ; grâce à vous, jeune Ariane qui m’avez tendu le fil, je vous ai suivie vers la lumière... Et aujourd’hui il faut que mon bonheur cause votre peine, à vous que j’aime le plus au monde après mon amour... Nous nous taisons; le vent s’apaise. Des lueurs, encore rares, commencent à piquer d’astres terrestres les maisons et les rues vaporeuses du grand Paris qui s’étale à nos pieds. Elles clignent et tremblotent, puis, plus sûres, plus ardentes, plus larges, rapidement elles se multiplient, dissipent les brumes, crèvent les fumées, et bientôt une immense palpitation, rose et innombrable, étoile la ville tout à l’heure grise et terne, lui donne un aspect bizarre et presque enchanté. — Allons, j’ai blessé, après l’avoir atteinte, la féerique biche au bois, — reprend tristement Robert, — je vais retourner chasser les sangliers... Mais, si je reviens et si vous partez, Juliette, oii irez- vous, enfant courageuse, que deviendrez-vous? — J’ai de grands amis, et un grand courage, et une grande foi dans la vie. — Juliette, dites- vous vrai? N’aurez- vous pas, à cause de ce début misérable dans la vie des sentimens, peur de vivre et peur d’aimer encore? N’aurez-vous pas perdu cette confiance