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que ne vaut la faute ! Des sourires, des baisers, des caresses ne peuvent s’expier, comme l’empoisonnement ou le parricide, dans le sang de ceux qui n’ont fait que de la volupté sous le ciel. » Comment se fait-il alors qu’il y ait un coup de feu au dénouement de l’Énigme ? La pièce se termine par un suicide, qui est le type du suicide aidé, et qui vaut un assassinat. C’est que le théâtre a ses raisons, auxquelles les raisons de la philosophie ne peuvent rien. Cette fois, la violence était dans la logique de la situation. D’ailleurs, le public prête peu d’attention aux théories : il demande avant tout aux pièces d’être bien faites. L’Énigme est une merveille d’agencement : Paul Hervieu n’a rien fait de mieux comme ouvrier de théâtre.

Mais son œuvre maîtresse à la scène, c’est cette Course du flambeau, d’une grandeur incomparable et d’une parfaite beauté. On me pardonnera d’avoir un peu brouillé les dates pour la détacher de l’ensemble, la mettre à part, et montrer en elle un sommet de l’art dramatique. Combien de fois n’avons-nous pas déploré cette manie de nos écrivains de théâtre, qui se cantonnent dans l’étude d’une société étroite et pervertie, et s’obstinent à ne mettre à la scène que des types exceptionnels et des situations scabreuses ? Voici une pièce qui nous ouvre un intérieur bourgeois où tous s’aiment et s’estiment, pareil à la plupart des familles françaises. La question qui le trouble est cette question d’argent qui, avec plus ou moins d’acuité, se pose à tant déménages ! Le drame impitoyable fouille jusqu’au fond de la conscience ; et il n’y a pas un mot que ne puissent entendre les plus chastes oreilles ! Il ne s’agit cette fois ni des revendications de l’individu, ni d’un article du Code sujet à retouches ; ah ! c’est tout autre chose : une loi de l’humanité sûre comme l’instinct, souveraine comme la nature, et, comme elle, implacable. Le coureur antique allumait à l’autel un flambeau qui s’en allait passer de mains en mains. « Chaque concurrent courait, sans un regard en arrière, n’ayant pour but que de préserver la flamme qu’il allait pourtant remettre aussitôt à un autre. Et alors, dessaisi, arrêté, ne voyant plus qu’au loin la fuite de l’étoilement sacré, il l’escortait, du moins, par les yeux, de toute son anxiété impuissante, de tous ses vœux superflus. On a reconnu dans cette Course du flambeau l’image même des générations de la vie. » C’est cette loi qui, à leur insu, agit au fond de chacun des personnages et leur dicte leur conduite. Elle explique