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effarement la présence d’une sentinelle allemande qui, en grand uniforme et le fusil au bras, allait et venait sur le quai, vis-à-vis de l’endroit où stationnait le navire-école ! Sans l’ombre d’un scrupule, le commandant du navire avait placé là cette sentinelle, pour signifier que tout lieu où daignait apparaître le pouvoir militaire allemand devait être, du même coup, publiquement regardé comme propriété allemande.

Il y avait eu aussitôt, cela va de soi, protestation scandalisée des autorités belges, et la sentinelle allemande s’était vue forcée de remonter précipitamment à bord du navire. Mais, selon toute apparence, le capitaine Œlrich, qui commandait le Stein, avait reçu mission de tâcher par n’importe quel moyen à profiter de son passage pour faire entendre aux Belges quelque chose comme un premier son de cloche symbolique, leur prédisant l’imminente « germanisation » de leur libre royaume : car voilà que, le dimanche suivant, dans la grande salle des fêtes du Jardin zoologique d’Anvers, au cours d’un banquet offert en l’honneur du navire-école, et où assistaient officiellement le bourgmestre de la ville et ses échevins, voilà que ce même capitaine Œlrich a formellement exprimé le vœu « d’une prochaine annexion de la Belgique entière à l’empire d’Allemagne ! » D’où, comme l’on peut penser, un nouveau scandale. Le bourgmestre et ses échevins se sont hâtés de sortir ; le Stein allemand a été invité à prendre congé, aussitôt, de son antique homonyme flamand ; et la presse officieuse de Berlin a poussé la condescendance jusqu’à mettre les terribles paroles du capitaine Œlrich sur le compte de l’excès de chaleur du climat haïtien, — accusé d’avoir momentanément brouillé l’une des plus vigoureuses et lucides cervelles de toute la marine de guerre impériale. Mais n’importe : il n’en restait pas moins qu’un geste avait été fait et des paroles dites qui, dorénavant, justifieraient l’Allemagne de poursuivre à loisir en Belgique l’œuvre d’ « annexion » ainsi annoncée.


Ce qu’a été cette œuvre mémorable, et par quelles voies ténébreuses elle s’est accomplie, nous l’apprenons aujourd’hui de l’un de ses témoins les plus clairvoyans, M. Jules Claes, qui pendant de longues années a courageusement essayé d’éclairer ses compatriotes belges sur le danger que constituait, pour eux, l’incessante « pénétration pacifique » d’une race trop évidemment résolue à se les « annexer. » Directeur du plus important journal français d’Anvers, la Métropole, M. Claes a été l’un des premiers à deviner l’existence