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prussiens s’empressant, pendant ces mêmes mois, à créer de nouvelles lignes stratégiques sur toute l’étendue de la frontière belge ! Ou bien encore c’est la lettre d’un habitant de Visé, qui raconte à M. Claes l’histoire d’un pont de bois jeté par les Allemands sur la Meuse, entre Visé et Lixhe. Deux ans déjà avant le début de la guerre, toutes les pièces de ce pont, dûment numérotées, se trouvaient en dépôt dans un magasin de la gare-frontière de Dalheim, sur une petite ligne très peu fréquentée qui allait d’Anvers à Aix-la-Chapelle. Aussi bien n’était-ce pas seulement des ponts que tenait en réserve le futur agresseur de la Belgique. Peut-être n’a-t-on pas oublié l’étonnement des Liégeois lorsque, pendant le siège de leur ville, trois officiers prussiens en grand uniforme, sortis l’on ne savait d’où, avaient soudain attaqué le général Léman dans son bureau, en plein cœur de Liège. Or, on a fini par découvrir que ces officiers étaient sortis, tout bonnement, d’une maison voisine où, déguisés en honnêtes « civils, » ils attendaient depuis des semaines. Autres faits, rappelés en passant par l’écrivain belge :


Depuis le 15 juin 1914, les wagons allemands ont à peu près cessé de circuler en Belgique, où l’on avait coutume de les voir chaque jour jusque-là. — Tous les magasins allemands de Belgique, qui d’ordinaire ne clôturaient leur « saison » qu’au début de juillet, ont procédé à cette opération un mois plus tôt en 1914. — A la fin de juin de cette année, un bon nombre des plus « solides » maisons de Belgique ont trouvé des excuses pour ne pas régler leurs comptes du mois échu. — La Deutsche Bank et la Dresdner Bank ont envoyé, dès le mois de juillet, des circulaires engageant leurs cliens allemands à vendre les fonds belges qu’ils pouvaient avoir.


Enfin, M. Claes assure que, dans une foule de bourgades et villages de son pays, les habitans ont reconnu d’anciens hôtes « civils » sous l’uniforme des officiers et sous-officiers envahisseurs. Ici, un lieutenant de hulans empoigne le petit garçon d’une cabaretière, le fait monter en croupe près de soi, et lui offre de lui faire faire une galopade, en l’appelant par son nom. « — Comment ? dit-il à la mère, vous ne vous souvenez pas de moi ? » Il relève son casque, et la mère aperçoit les traits familiers d’un commis voyageur en instrumens agricoles qui vingt fois, les mois passés, est venu prendre son repas chez elle. Ailleurs, au contraire, un sergent d’infanterie fait saccager e< détruire, par ses camarades, les diverses maisons où il a naguère laissé des dettes, pendant qu’il logeait dans le bourg en se donnant les allures d’un marchand de faucilles. Mais ceci nous ramène déjà à