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Impossible d’imaginer apparence plus innocente. Ayant achevé ses études commerciales dans son pays, et souvent même dans la propre maison de son père, — qui est, là-bas, l’un des représentans les plus considérables de la même « branche » de commerce, — il a résolu de venir passer quelques années en Belgique, afin d’apprendre plus à fond la langue française. C’est donc une faveur qu’il sollicite, malgré les nombreuses et élogieuses recommandations dont il est muni ; et aussi ne demande-t-il pas à être payé. Au contraire, pour peu que le négociant belge y consente, son père se fera un plaisir de « s’intéresser » directement aux opérations d’une maison qu’il a depuis longtemps coutume d’apprécier. — Et malheur au négociant belge, — ajoute en passant M. Claes, — s’il consent à cette « participation » du père de son nouveau commis ! Nul moyen pour lui, dorénavant, de se dépêtrer de cette double « emprise, » qui non seulement l’empêchera de congédier le fils, s’il n’en est point satisfait, mais l’obligera encore * ne rien cacher, devant le commis étranger, de ses plus intimes secrets professionnels.

Au surplus, le négociant n’aura guère l’occasion de vouloir congédier un « employé modèle » tel que celui-là. Un garçon si laborieux et si complaisant, toujours le premier à venir au bureau et le dernier à quitter son pupitre ! Tout au plus sera-t-il tenté, peut-être, de regretter que l’excès de zèle pousse parfois le commis à « mettre son nez » dans des affaires dont il vaudrait mieux qu’il ne se mêlât point. Voici, par exemple, qu’un matin du printemps de 1914, l’un des plus notables commerçans belges qui eussent encore « survécu » à la « germanisation » d’Anvers reçoit, dans son cabinet, la visite de l’un de ses commis allemands !


— Monsieur, — dit le commis, avec un air tout ravi de soi-même, — j’ai grand plaisir à vous restituer ce billet de banque qui allait être perdu, et que j’ai trouvé dans une enveloppe ouverte !

— Et où avez-vous trouvé cette enveloppe ?

— Dans la corbeille où vous jetez vos papiers inutiles.

— Je vous remercie bien de ce précieux service que vous m’avez rendu. Mais comme je ne me soucie pas d’avoir chez moi des employés qui s’amusent à explorer le contenu de ma corbeille à papiers, auriez-vous l’obligeance de vous faire payer ce qui vous est dû, et de ne plus jamais remettre le pied dans ma maison ?


Ce commerçant se trouvait instruit déjà par l’exemple de ses confrères, et vingt années de « lutte pour la vie » l’avaient mis en défiance des façons d’agir des commis allemands. Mais que l’on imagine