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la résurrection récente de la vieille querelle des « flamingans » et des « wallons » ait été, tout entière, d’inspiration allemande ; mais, certes, les documens qu’il nous cite nous prouvent assez la grande part qu’y ont prise des mains allemandes. Une campagne, à la fois sournoise et tenace, a été menée dans les villes et villages du pays flamand, pour accoutumer les habitans de ce pays à considérer les Allemands comme leurs frères de langue, et de tradition, et de cœur, ardemment désireux de les défendre contre l’hostilité et la persécution séculaires de leurs rivaux wallons, soutenus par le reste des nations latines. Après quoi, lorsqu’ils ont cru avoir suffisamment préparé le terrain, les instigateurs des rancunes « flamingantes » ont voulu recueillir le fruit de leur travail. Mais il s’est trouvé qu’une fois de plus leur sottise foncière, — je veux dire ce manque absolu d’observation vivante que je signalais ici l’autre jour, — leur a valu d’échouer dans leur entreprise. Se figurant que leur prédication anti-latine avait suffi pour engourdir les consciences des Belges suivant la manière d’un de leurs gaz stupéfians, ils ont adressé à leurs auditeurs de la veille une série d’appels et de proclamations où ils les engageaient à réaliser l’immortelle destination de leur race, en se laissant « annexer » par leurs frères d’outre-Rhin. « Vos aspirations vont être satisfaites. Le rêve de vos pères va enfin prendre corps. Les Flandres aux Flamands, telle est la volonté de Dieu !… Accueillez parmi vous les braves troupes prussiennes qui sont venues vous délivrer de l’ancien joug romain ! Et rappelez-vous ce cri de guerre de vos ancêtres : Tout ce qui est wallon (walsch) est faux (valsch). Il faut tuer tout cela ! »

Heureusement, les Belges de langue flamande n’étaient pas encore assez « drogués » pour oublier l’invasion allemande en Belgique, et la-destruction de quelques-unes de leurs plus belles villes, et le massacre de milliers de leurs frères, flamands ou wallons. Si bien qu’à ces appels de Flamingans en casque pointu ils ont répondu par un éclat de rire, parfaitement résolus désormais à persévérer dans l’émouvante fraternité de corps et d’âme qui, depuis le début de la guerre, a inspiré toute leur conduite à l’égard des Wallons. Puissent-ils seulement, au sortir de la terrible épreuve qui s’achève pour eux, puissent-ils se souvenir aussi de la leçon qu’a été pour eux le bouleversement prolongé de leur sol par la « taupe » allemande !


T. DE WYZEWA.