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race s’est établie, partout où, dans le présent, elle commence à s’établir, sa prise de possession demeure. Allemandes, Suisse, Bourgogne, Lorraine, Belgique, Hollande, Pologne, qui lui ont une fois appartenu ! Allemandes, ces contrées qui accueillent et retiennent aujourd’hui les siens ! « L’Allemagne est là où les Allemands chantent la gloire du Dieu du ciel, où résonnent les chants allemands sur un millier de lèvres… » Nous commençons à entrevoir le point où la doctrine de l’individualité supérieure de la race et celle de l’impérialisme vont se rejoindre. Comment cette race unique, dont tout l’effort passé fut dirigé contre l’universalisme représenté par Rome, l’Eglise et la France, va-t-elle à son tour s’ériger en principe universel ? Ce fait ne s’explique pas uniquement par la croissance monstrueuse du sentiment national. Il a sa genèse dans une autre théorie : celle du développement.

Aucune idée qui soit plus familière à la science moderne. Aucune qui soit plus chère à l’Allemagne. Dès le début du dernier siècle, la philosophie l’applique à l’histoire. Schelling n’avait-il pas dit : « L’histoire est une révélation de Dieu, et cette révélation s’accomplit par un développement successif. » Cette évolution, Hegel surtout va la décrire. Certes ! nous avons peine aujourd’hui à comprendre quels furent le succès, la séduction, le rayonnement de cette philosophie. Elle n’est plus pour nous qu’une curiosité ; elle fut presque une religion. Elle n’a pas seulement séduit l’Allemagne ; dans tous les pays, elle a eu des adeptes comme des apôtres. Et en Allemagne, ses premiers, ses plus ardens fidèles furent ceux mêmes que les méthodes positives eussent dû préserver d’abord : les sociologues et les historiens. Nous la retrouvons dans Baur comme dans Droysen. Son influence s’est fait sentir sur Karl Marx et sur Lamprecht. En serons-nous surpris ? Ce qui était obscur dans cette philosophie, c’était son principe : l’Idée, cet indéterminé qui se détermine, cet absolu qui se crée, passant de la logique à la nature, de la nature à l’esprit. Ce qui était clair, c’était l’application que Hegel en avait faite à l’histoire, l’histoire elle-même ramenée à l’unité, son développement intégré dans l’ensemble des choses, conçu comme un ordre, se dirigeant vers une fin. Pour la première fois, un esprit puissant et subtil donnait une explication rationnelle de la réalité. Par cette idée de l’évolution, l’hégélianisme renouvelait l’histoire : celle de l’art, de la