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l’optique contemporaine, semblera peut-être avoir le plus changé : c’est qu’il n’aura pas correspondu aux évolutions et aux déviations de ceux qui tournaient autour de lui.

Comme son père, René Bérenger fut vite jeté dans une situation fort différente de celle où il avait été appelé d’abord à grandir. Magistrat d’avenir sous Napoléon III, il n’hésita point, quoique marié et père de famille, à partir comme volontaire et à se mettre au service de la Défense nationale. Elu dans deux départemens, le Rhône, où, comme avocat général, il avait donné des marques de courage d’ordres divers (car il avait été dénoncé aux anarchistes et arrêté par eux), et dans son département originaire, la Drôme, il avait opté pour la Drôme. Dans sa détresse, la France, sur laquelle ne pesait du moins aucune contrainte officielle, était allée, comme d’instinct, aux hommes ou éprouvés, ou même simplement signalés au public par des services désintéressés, par des marques, anciennes ou nouvelles, de courage, ou par la réputation de leurs familles. Ainsi Félix Voisin, du fond d’une forteresse prussienne, avait été élu sans le savoir. Quelquefois, on vota pour le nom, sans pouvoir dire exactement qui en était alors le titulaire le plus qualifié, et ce ne fut qu’après coup qu’il fut bien établi que ce devait être celui-ci plutôt que celui-là. Tel fut, parait-il, le cas de M. Carnot, alors ingénieur dans la Haute-Savoie. Quant à M. Bérenger, il fut désigné à la fois par son nom, par ses services personnels et par la virilité de son altitude. Une fois à l’Assemblée, il se fît également remarquer par son désintéressement et par sa ténacité ; il s’effaçait volontiers derrière un homme d’initiative, il le soutenait en dehors de toute ambition, et, encore plus, de toute intrigue, mais jusqu’au jour où il se voyait contraint de lui déclarer franchement : « Je ne peux plus vous suivre. » Très scrupuleux, il estima tout de suite qu’il n’était pas permis de défendre des causes justes par des moyens qui ne le seraient pas. En tout cela, il devait y avoir du père au fils une continuité d’autant plus intéressante qu’elle ne ressembla jamais à une sorte d’imitation impersonnelle. Très vif et quelquefois très âpre dans les débats, facile à l’indignation, son caractère s’adoucit de plus en plus avec l’âge et avec les mécomptes de la lutte ; mais, d’un bout à l’autre de son existence, il se fit bien à lui-même ses convictions, ses préférences et ses résolutions. Bref, il fut un bel exemple de ce qu’il doit y