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pouvait s’attendre à une attaque en force, qui se produisit en effet dans la nuit du 12[1]. Mais nos précautions étaient prises et l’attaque fut enrayée.

Dépité, l’ennemi se rejeta sur son artillerie, dont toutes les bouches rentrèrent en action. Elles n’éprouvèrent qu’assez faiblement nos tranchées[2] ; mais, le long du quai, sur la route de Caeskerke et à Caeskerke même, le docteur Taburet constate au matin que toutes les maisons sont « en loques. » L’ébranlement causé par la canonnade est tel qu’on se croirait en mer, par gros temps, sur le pont d’un navire. « Je titubais, » dit encore le témoin cité. À peine évacuée, son ambulance s’était remplie de nouveaux blessés que le service sanitaire devait faire prendre à la nuit. Mais par quels chemins ? Chaussées, bas-côtés, « ne sont plus que bouillie[3]. » On s’en tirerait encore le jour, si le bombardement permettait de s’y aventurer. La nuit, sans lumière, cela devient un problème presque insoluble. D’ailleurs, ses repères établis, l’artillerie lourde de l’ennemi n’arrête pas plus la nuit que le jour. Le docteur Taburet, qui s’est hasardé sur la route, reçoit un éclat d’obus dans le dos, sur son revolver, qui le protège ; il n’a que le temps de rentrer pour éviter les trois autres coups fatidiques. Il se hasarde de nouveau à minuit pour chercher les voitures d’ambulance : les obus brisans qui l’encadrent l’obligent encore à rétrograder… Des deux postes de secours[4]que nous conservions dans ce secteur de la défense, à proximité des tranchées, comme l’exige le

  1. Communiqué du 13 novembre : « L’ennemi a cherché à déboucher de Dixmude par une attaque de nuit et a été repoussé. » En réalité, l’attaque eut lieu à la tombée du jour. « Gros bombardement de nos tranchées ; vive fusillade vers cinq heures du soir. » (Carnet du lieutenant de v. de M…)
  2. Même celles du Haut-Pont, les premières visées cependant et « qui reçoivent des marmites sans discontinuer. Pitous les attire sans doute. » (Carnet du lieutenant de v. de M…)
  3. Journal du Dr Petit-Dutaillis : « Les routes flamandes sont formées au centre d’une chaussée pavée trop étroite pour le passage de deux voitures et, de chaque côté, d’un terrain meuble où l’une des deux doit forcément s’engager pour croiser l’autre ; sous les pluies persistantes, ces bas-côtés ne sont plus que bouillie liquide dont on ne se dégage qu’à grand’peine. »
  4. Le troisième était celui du Dr Guillet, établi au débouché du pont romain et enlevé avec ses deux médecins (le Dr Guillet et le médecin auxiliaire Félix Chastang) et tout son personnel le 10 novembre. Le Dr Guillet, fait prisonnier, a été échangé ; mais son aide, Félix Chastang, fut tué le 11 novembre en soignant sous le feu des blessés français et allemands. L’ennemi n’a pu s’empêcher de rendre hommage à tant d’héroïsme et il a inscrit sur sa tombe, dans le cimetière d’Eessen : « Ici repose un brave médecin français. » (Lettre du médecin-major allemand Simon à Mme Chastang.)