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correspondaient, bien entendu, des écarts très sensibles entre les prix. Le blé, qui valait vingt-quatre ou vingt-cinq livres le septier dans une région, était payé jusqu’à cinquante ou soixante livres dans une province voisine, et la lenteur autant que les frais énormes des transports, constituaient des obstacles invincibles au nivellement des cours. Dans de pareilles conditions, la liberté et la sécurité du commerce pouvaient seules réduire au minimum les différences de prix et protéger contre la disette les habitans des régions les moins fertiles.

Malheureusement, l’ignorance du public et sa crédulité le forçaient à voir un ennemi dans la personne du négociant dont le rôle bienfaisant consistait à faire circuler les subsistances. Les achats du commerce étaient considérés comme des accaparemens ; les grains, notamment, ne pouvaient sortir d’une région sans que le public inquiété ne craignît la disette ou ne redoutât la hausse des prix. Les craintes ressenties exerçaient, à vrai dire, la même influence qu’une diminution réelle des récoltes ; les cours s’élevaient brusquement là où les ressources étaient abondantes, et cette hausse prenait les proportions d’un désastre dans les régions qui souffraient momentanément d’un déficit certain des récoltes ordinaires.

Pour triompher de ces difficultés sans cesse renaissantes, pour dissiper les craintes, pour réprimer les violences et assurer au commerce sa liberté nécessaire, un pouvoir solidement établi et respecté était partout indispensable. Or, durant les années qui ont précédé la chute de l’Ancien régime, le pouvoir royal avait précisément perdu l’autorité indiscutée, la force capable de faire respecter l’ordre et d’empêcher le peuple de se nuire à lui-même.

Les premières assemblées révolutionnaires ont-elles donné au pouvoir royal cette autorité nécessaire et cette force utile au bien de tous ? ont-elles résolu avec sagesse et avec énergie le problème des subsistances ? C’est ce que nous allons nous demander.


LE PROBLÈME DES SUBSISTANCES JUSQU’AU VOTE DES LOIS DE MAXIMUM

Rendons justice tout d’abord à l’Assemblée Constituante et à la Législative : elles ont toujours maintenu et affirmé dans leurs décrets le principe de la liberté du commerce intérieur