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« Ignore-t-on que l’abondance des subsistances et leur continuelle reproduction dépendent du courage du cultivateur, et le courage du cultivateur de sa sécurité ?…

« Qu’on cesse donc de se croire patriote alors que l’on met le comble à la misère publique en répétant ces maximes extravagantes et meurtrières qui ne pourraient amener que l’anéantissement de l’agriculture, la cessation de tous les travaux, la banqueroute, l’anarchie et la famine…

« On n’est pas assez frappé, ce me semble, d’une erreur aussi étonnante : cette erreur consiste à croire qu’il est au pouvoir de quelque autorité humaine de fixer par une parole la valeur des choses, comme Dieu créa d’un mot la lumière. Les valeurs ont leurs bases dans une multitude infinie de rapports variables que la loi ne peut ni saisir, ni dominer.

« Quoi ! lorsque vous faites tant de lois qui restent sans exécution, lorsque toutes les autorités sont ébranlées et tous les liens de la police sans force, vous ferez exécuter une loi que le pauvre comme le riche, les juges, les fonctionnaires publics, et plus des trois quarts des citoyens auront sans cesse la tentation, les moyens, la nécessité même d’enfreindre ! Vous pourriez multiplier les lois de sang, encourager les dénonciations, établir des légions de tyrans subalternes, autoriser tous les actes arbitraires, provoquer des violences populaires et désespérer tous les citoyens ; mais la force des choses serait encore au-dessus de toutes vos mesures. »

Le discours tout entier mériterait d’être cité. On n’a pas défendu la cause de la liberté et de la propriété avec plus de force et de clarté. Il nous plaît de rendre justice aux hommes qui ont tenté d’éclairer la Convention.

Pourquoi leur avis n’a-t-il pas été suivi, et pourquoi l’Assemblée révolutionnaire a-t-elle voté précisément toutes les lois qui sont la négation même des principes si brillamment défendus par quelques-uns de ses membres ? Nous allons le dire. Les influences qu’a subies la Convention et les motifs qui l’ont déterminée doivent être marqués. Demain, notre Parlement peut céder à ces influences et se laisser guider par les mêmes motifs.