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comprendre pour la première fois. En vérité, toute musique prenait alors, avec un sens plus profond, une dignité plus haute. Un matin, six cuirassiers entrèrent à cheval dans la cour. Commandés par un chef d’escadrons, ils venaient donner une aubade à l’un des leurs. On descendit le malade sur une civière, et par trois fois, très pâle et les yeux humides, il écouta sonner en son honneur les trompettes de son régiment.

« C’est beau, ce qui parle, mais ce qui chante, ce qui chante ! » Malgré tout, il se trompait, le petit blessé musicien, et nul chant ne surpasse en beauté certaines paroles, inspirées à nos soldats par la souffrance ou par l’approche de la mort. Paroles de haine quelquefois, d’une haine sacrée et presque sainte, contre nos ennemis, leurs mensonges et leurs crimes. Mais surtout paroles d’amour pour le pays, et, pour nous, de reconnaissance et de touchante amitié. C’est un agonisant auquel on offre une cuillerée de Champagne et qui l’accepte en ajoutant : « Au moins, c’est bien entendu que je le paie, mon Champagne. La France, dans l’état qu’elle est, n’a pas les moyens de me l’offrir. » Un autre, un enfant, tout près de mourir aussi, disait avec une tendresse navrante à l’infirmier qui lui tenait la main : « C’est drôle tout de même… — Et quoi donc ? — Il y a trois jours, on ne se connaissait pas… Maintenant, on s’aime déjà tant… Et voilà qu’il faut se quitter… » Puis, après un silence : « Pourtant on était heureux !… On était dans la quincaillerie… » Et le petit ouvrier ferma les yeux, en souriant pour la dernière fois à son humble métier, à son pauvre bonheur :

« Comme il avait aimé les siens qui étaient en ce monde… » Eux aussi, devenus les nôtres, nous les aimions jusqu’à la fin, et plusieurs ont fini comme des héros, comme des saints. Il mourut ainsi, le jeune et charmant tirailleur, dont la mort fut pour l’hôpital un deuil public. Aucun autre n’avait son intelligence et son cœur. Elevé fort au-dessus de sa condition par je ne sais quelle noblesse native, un moment égaré par les maîtres de l’erreur en tout genre, les dures leçons de la douleur avaient ramené à la vérité, à toutes les vérités, son âme généreuse et sincère. Avec quelle ardeur il se promettait de ne plus servir que de justes causes, des causes sacrées ! Que de fois il nous entretint de ses vœux, de ses desseins, de ses espérances ! Belle eût été sa vie, mais sa mort fut plus belle. Pendant ses