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Le parti qu’il visait aurait aussi voulu distribuer à volonté la pratique religieuse dont il disputait pied et à pied et refoulait de plus en plus le libre exercice. Toujours soucieux de se placer avant tout sur le terrain de la liberté, M. Bérenger fit dans les hôpitaux une enquête personnelle, très attentive et très clairvoyante. Il y chercha le rôle de l’aumônier ; il constata comment, malgré toutes les déclarations sur la liberté de conscience, on arrivait è réduire ce rôle à néant par toutes sortes de soi-disant précautions ; il crut même voir comment, dès qu’un obstacle était tourné, on s’ingéniait à le remplacer par un autre, plus arbitraire encore. Il montra comment on avait d’abord tenté d’instituer un interrogatoire des malades, en vue de leur faire dire s’ils entendaient ou non, en cas de danger, recevoir les secours de la religion. Les réponses affirmatives furent telles qu’on s’avisa que l’interrogatoire avait des inconvéniens : on le supprima. L’attaque de l’orateur fut si vive que son contradicteur, Waldeck-Rousseau, dut, à travers des digressions spirituelles, se borner à répondre avec désinvolture : « S’il y a tant d’abus que vous le dites, adressez-vous aux tribunaux. » Par 130 voix contre 120, le Sénat vota l’ordre du jour pur et simple ; mais le souvenir de l’intervention admirablement documentée d’un tel homme ne fut pas complètement perdu. Des adoucissemens se sont peu à peu, depuis ce jour, introduits dans la pratique. Plus d’un agent trop zélé s’est ou attiédi dans l’indifférence ou heureusement humanisé au contact de trop de misères et de souffrances. Le dévouement religieux, ecclésiastique ou laïque, féminin surtout, a fait ce qu’il a pu pour suppléer à l’insuffisance des institutions. Mais le réformateur était bien convaincu que, dans les hôpitaux comme dans les prisons, l’humanité même et aussi la sagesse réclamait un corps reconnu, organisé, muni des moyens nécessaires à sa mission. Il devait bien entrevoir au moins qu’un tel corps eût été mieux pénétré de ses devoirs et de ses responsabilités de tout ordre, à l’endroit des dissidens comme à l’égard des croyans : car on l’eût recruté d’une façon plus hiérarchique, plus facile à contrôler par l’un et l’autre pouvoir, donc mieux préservé des accidens inséparables d’un recrutement de fortune. Si le défenseur de la charité a pensé cela, — et je crois qu’il le pensait, — on peut affirmer qu’il avait singulièrement raison.