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bien qu’il en fût éloigné par sa carrière, l’importance et la grandeur de la science, c’est Bonaparte. Il voulut et il sut en faire un instrument de gouvernement. Lors de son départ pour l’Egypte, il se fit accompagner d’un état-major de savans, d’où émergeaient les têtes brillantes de Monge et de Berthollet. Plus tard, il ne cessa de donner les marques les plus vives de sa vénération pour les sciences. Il donna à un savant, le grand Laplace, la présidence de son Sénat., Et Laplace dut parfois sourire de la haute fonction qu’il occupait dans un petit palais de « cette planète déjà si petite dans le système solaire, et qui disparait entièrement dans l’immensité des cieux dont ce système n’est qu’une partie insensible. »

D’où vient donc que dans le public, l’importance du rôle qu’ont et pourraient avoir les hommes de science soit complètement méconnue ?

C’est, nous l’avons dit, une question très agitée depuis quelques semaines dans les milieux pensans de l’Angleterre. Elle se pose avec plus d’acuité là qu’ailleurs, parce que des trois grandes Puissances civilisées en présence, c’est elle qui a le moins utilisé la science dans son organisation, à l’opposé de l’Allemagne, qui a jusqu’ici fait les plus grands pas dans cette voie, la France étant à cet égard à mi-chemin de l’Angleterre et de l’Allemagne.

Comme les Anglais sont des gens pratiques, qui aiment à remonter des effets aux causes pour en tirer de nouveaux effets, ils ont apporté à cette question des réponses très franches, qui constituent de leur part un mea culpavfort méritoire, et dont nous pourrons peut-être aussi tirer quelque profit.

Wells, le célèbre écrivain, a attaché le grelot dans une lettre au Times qui a fait quelque tapage. Il se croyait qualifié pour l’écrire, parce que tout Anglais se croit le droit de discuter librement les affaires de son pays ; il l’était vraiment, parce qu’il possède une haute culture scientifique, parce que ses romans scientifiques, qui ont fait de lui un second Jules Verne, sont souvent des anticipations merveilleuses, et qu’en particulier, il a prévu et prédit dans tous ses détails le caractère de guerre de tranchées de la lutte actuelle. Ces passages suivans de la lettre de Wells sont particulièrement caractéristiques.

« Il y a une question extérieure au domaine des discussions de parti qui semble mériter qu’on l’examine de près et qui a été négligée d’une façon extraordinaire au cours de la discussion d’où est sorti le ministère de coalition : c’est le rôle très réduit que nous donnons aux hommes de science, et le faible intérêt que nous montrons pour les